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1997
Colloque "les problèmes culturels des grandes villes", 8-11 décembre 1997
96

Disney urbaniste : la ville de Celebration en Floride

When Disney goes to town: the city of Celebration, Florida
Sophie Didier

Résumés

L´inauguration de la ville de Célébration par la compagnie Disney a marqué en 1996 la première véritable incursion du groupe dans la planification d´une ville tout entière connue pour accueillir 20.000 habitants permanents. Du point de vue de saconception, Celebration se rattache au récent courant de la planification néo-traditionnelle et fonctionne à ce titre comme la Main Street des parcs d´attraction, ville-refuge faisant explicitement référencé à un passé idéalisé. Cet article s´attache essentiellement à montrer les influences qui ont présidé la création et à la vente de cette ville idéale promue comme une alternative aux banlieues dégradées des années cinquante de la Sun Belt, et analyse les réactions qui ont accueilli l´inauguration de la ville dans la presse américaine.

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Texte intégral

1Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la compagnie Disney a radicalement étendu le champ de ses activités autrefois cantonné à la production de films destinés à un public familial, et à la gestion de ses parcs de loisirs. Ces derniers, qui font partie du patrimoine de la compagnie depuis 1955 pour le plus ancien d’entre eux (Disneyland/Anaheim en Californie), ont perdu progressivement leur rôle de pourvoyeur principal de bénéfices au profit de films destinés à un public plus adulte, de toute une panoplie de produits dérivés ainsi que de la récente subdivision touchant à l‘immobilier (1).

2La création de cette section immobilière paraît largement symptomatique de la part croissante que prend ce type de compagnies de loisirs dans l’organisation des espaces publics : en effet, plus que de simples structures hôtelières, ces réalisations aspirent bien souvent à la création d’environnements de vie complets, à l’image de la toute dernière réalisation de la compagnie Disney, la ville de Celebration, dont la première tranche habitée a été inaugurée en juillet 1996.

3Le succès rencontré par le projet auprès du public lors de la prévenue des maisons et appartements nous amène donc, au delà d’une simple description du projet, à nous demander ce que cette ville apporte finalement de plus par rapport aux autres types de développement suburbain. La référence à un système de valeurs traditionnelles ainsi qu’à la mémoire de Walt Disney et de son projet initial pour EPCOT est ainsi très prégnant dans la publicité faite pour le projet, comme dans l’aménagement de la ville elle-même : il s’agit ni plus ni moins d’une tentative de remède à la crise urbaine que peuvent connaître les banlieues qui furent urbanisées à partir des années cinquante. Plus donc que l’entrée sur la scène immobilière d’une grande entreprise de produits culturels, cette réalisation force l’attention en raison du projet qui l’anime  ; le type de planification employé à Celebration s’appuyant sur un système de valeurs culturelles bien particulier rejoint en effet le mouvement très commenté à l’heure actuelle du Nouvel Urbanisme, mouvement qui compte déjà plusieurs réalisations à succès, la plus célèbre d’entre elles étant la station de Seaside, sur la côte Nord-Ouest de la Floride.

I - Celebration, ville conçue en 1988 et fondée en 1996

Au cœur de Disney World

4Celebration se trouve en Floride Centrale, au Sud-Ouest de l’agglomération d’Orlando : la ville a été construite sur le territoire appartenant à la Compagnie Disney (cf. figure 1). Il convient de rappeler à ce sujet que la compagnie possède en Floride une somme considérable de terrains (environ 11.000 ha) à cheval sur les comtés d’Orange et d’Osceola et acquis lors de la prospection préalable à la construction de Walt Disney World en 1966. La majeure partie de ce domaine est restée vierge de tout développement immobilier et joue jusqu’à présent le rôle de réserve naturelle. Les équipements de loisirs gagnent cependant sur la nature au fil des ans(inauguration d’EPCOT-center, parc jumeau du Magic Kingdom, en 1982,des studios MGM-Disney en 1989, projet en cours de construction d’un Parc animalier dont l’inauguration est prévue pour 1998, etc.) ; Celebration constitue la dernière étape opérationnelle de cette progression, et ce même la ville n’est pas destinée à être en soi une attraction supplémentaire.

Figure 1 : localisation de Celebration en Floride

Historique de la création de la ville

5Sous l’impulsion de la nouvelle direction de 1984 rassemblée autour de Michael Eisner, les vieux projets d’urbanisme de Walt Disney qui furent abandonnés après sa mort en 1966 ont été ressortis des tiroirs : en 1988, la compagnie a ainsi chargé deux grandes maisons d’architectes de l’élaboration du MasterPlan (l’équipe de Robert Stern et l’équipe Robertson & Cooper) sur une portion de territoire d’environ2000 ha dans la partie Sud du domaine de Walt Disney World.

6A partir de 1992, le projet est entré dans sa phase active, selon une triple logique d’intervention :

  • l’ensemble du centre-ville est resté le domaine réservé de la compagnie, de même que certains équipements de loisirs et l’organisation générale de la ville,

  • les marchés de construction des logements ont été attribués sur concours à des entreprises immobilières travaillant en partenariat avec Disney sur la question du design des unités d’habitations,

  • certaines infrastructures semi-privées telles que l’hôpital ou l’école ont été construites en coopération avec les groupes chargés de les faire fonctionner.

7La première tranche de travaux a abouti en août 1995 à une phase de prévente des 352 premiers logements construits sur un total futur de 8.000 : dans ce but, un centre d’exposition a été installé au centre-ville pour expliquer aux acheteurs potentiels les conditions d’achat ou de location de logements. D’après la compagnie, plus de 21.000 personnes seraient ainsi passées par ce stand dans un laps de temps de quatre mois, ce qui a justifié en novembre 1995 un tirage au sort des acheteurs susceptibles de s’installer dans ces premiers logements.

8L’inauguration en fanfare le 04 juillet 1996, date symbolique s’il en est, a enfin marqué l’achèvement de l’ensemble des infrastructures du centre-ville.

Rapide descriptif de l’organisation générale et des équipements

9Du point de vue de l’organisation générale, l’ensemble de l’espace urbain est séparé de la réserve naturelle extérieure par une ceinture verte paysagée de1900 ha (soit les 9/10èmes environ du territoire couvert par le projet), véritable zone-tampon destinée à assurer la transition entre la ville et son environnement immédiat.

10Pour son organisation interne, la ville se pose comme une application du principe de mixité des usages du sol, à l’opposé du principe de zoning des activités et des types de résidences utilisé d’habitude dans ce genre de projet de communauté planifiée : ainsi au centre-ville par exemple, les immeubles abritent boutiques et restaurants en rez-de-chaussée et des appartements à l’étage. Le mélange est par ailleurs prôné en matière de logements, appartements et maisons de plus ou moins grand prix se trouvant représentés au sein de Celebration. Ce retour à des densités plus élevées constitue la marque essentielle d’appartenance du projet au mouvement du Nouvel Urbanisme.

11Ville opérationnelle, et pas seulement ville-dortoir, Celebration abrite également un parc industriel d’une quarantaine d’hectares prévu pour accueillir à terme essentiellement des bureaux mais aussi le complexe de santé mi-hôpital, mi-centre de remise en forme destiné aux habitants et actuellement en service.

12L’accent principal a été mis bien évidemment sur l’aménagement des espaces publics, selon les techniques de mise en scène et d’animation déjà largement testées dans les parcs d’attraction du groupe. Selon un principe utilisé dans les hôtels-clubs Disney, un lac doté d’une marina publique occupe une position adjacente au centre-ville. Les rues commerçantes reprennent, dans des bâtiments modernes, l’esprit de la Main Street du Magic Kingdom. Les bâtiments construits parla compagnie ont enfin fait l’objet d’un soin tout à fait particulier : Disney a fait appel à des architectes renommés, affiliés au mouvement post-moderne pour la plupart, pour la conception de l’hôtel de ville (réalisation de Philip Johnson), du bureau de poste (Michael Graves) ou encore de la banque (Robert Venturi). Certains de ces architectes ont d’ailleurs déjà travaillé avec la compagnie sur des projets ponctuels (Michael Graves a ainsi conçu l’un des complexes hôteliers de Walt Disney World, le Swan & Dolphin Hotel).

II - Un aménagement digne de la Planification Néo-Traditionnelle

13Parmi les premiers architectes à s’être penchés sur le berceau de Celebration se trouve le duo Andres Duany/Elizabeth Plater-Zyberk, qui s’était déjà singularisé avec la création de la station balnéaire de Seaside. Ces deux architectes sont perçus comme les principaux promoteurs de la planification néo-traditionnelle et leur travail à Seaside a généré une abondante littérature critique (cf. notamment K. Falconer Al-Hindi & C. Staddon -1997, dernière parution sur ce sujet dotée d’une ample bibliographie). Leur expérience à Seaside se trouve renouvelée à travers Celebration, qui reprend ainsi l’essentiel des principes qu’ils ont mis en œuvre : référence à une ville du passé perçue comme idéale, sens de la communauté favorisé par la structure même de la ville, édification d’un code d’urbanisme très strict destiné à préserver l’intégrité du projet. Beaucoup plus qu’au projet avorté d’EPCOT, c’est donc à ce modèle néo-traditionnel que Celebration emprunte sa conception.

EPCOT enfin réalisé ?

14Dans les déclarations des différents acteurs participant au projet de Celebration, la référence à EPCOT tirée de la mythologie Disney est généralement utilisée pour justifier la mise en chantier de Celebration :

"Nous avions la volonté de construire ici une véritable communauté. Nous réalisons ainsi les projets que Walt Disney avait originellement pour ces terrains." (2)

15S’il existe bien à l’heure actuelle à Walt Disney World une extension connue sous le nom d´EPCOT Center, elle ne correspond en effet que très médiocrement aux projets initiaux de Walt Disney ; EPCOT signifiait au départ Experimental Prototype Community Of Tomorrow et devait consister en une ville modèle bénéficiant de tous les progrès techniques de l´époque en matière de transports, d´habitat, etc. Cette ville était ainsi destinée à accueillir une population permanente de 20.000 personnes, une grande partie d´entre eux devant être les employés du Magic Kingdom de Walt Disney World.

16Walt Disney aurait tiré son inspiration principale pour ce projet des écrits de Victor Gruen, dont l’ouvrage The Heart of Our Cities proposait un certain nombre de solutions à la crise urbaine des années soixante, crise directement liée selon lui à l’automobile et son cortège de banlieues sans âme et de centre-villes dégradés. Dès lors, EPCOT, sorte de cité ouvrière futuriste, se devait d’être le modèle aidant à résoudre "(...) les problèmes actuels des villes grâce à une planification appropriée"(3). On le voit, la volonté de réduire la crise urbaine est ici présente comme pour Celebration, mais la forme prise par EPCOT aurait été très différente : repris sur les projets de Gruen, le plan de la ville reste subordonné au principe de zoning, montrant différentes sections bien individualisées les unes par rapport aux autres, le tout étant organisé selon un principe radial autour d’un centre-ville réservé à des gratte-ciel de bureaux. Le projet réutilisait également des systèmes de transport futuristes mis au point par les ingénieurs Disney ; l´une des inventions les plus célèbres de cette recherche en matière de transports reste certainement le "people-mover", construit en collaboration avec Good-Year, sorte de tapis roulant horizontal destiné à servir de transport en commun au sein de la ville d´EPCOT.

17La différence est donc bien marquée entre ce projet et Celebration, et comme le fait remarquer J.H. Kunstler (1993) :

"Le projet que l’on entrevoit ici était un pur produit des années soixante  :un scénario grandiose façon Cité Radieuse, plein de tours et de monorails tout droit tiré du ‘Petit Le Corbusier illustré’."(4)

18Le seul point commun entre les deux villes tient finalement à l´utilisation intensive de nouvelles techniques pour l´équipement des logements : l´accès aux moyens de communication récents (Internet) est possible depuis tous les domiciles, et la ville bénéficie également d’un réseau interne. Le suivi médical des citoyens de Celebration est ainsi assuré par connexion électronique au centre de soins ultramoderne, et selon le même principe, les résidents peuvent gérer leur compte bancaire via leur ordinateur.

Un certain sens de la communauté

19La brochure de promotion de la ville auprès des acheteurs potentiels marque essentiellement la volonté de la compagnie d’édifier une véritable communauté de vie pour les résidents, idée largement reprise par les différents porte-parole du groupe (5) ; la question de la recréation d’une participation active à la vie publique de la communauté est ainsi au cœur de la promotion de Celebration.

20Pour la compagnie, le symbole de cette harmonie reste la ville d’avant la Seconde Guerre Mondiale, mais ce sans plus de précision. L’architecture des maisons réemploie aussi un mélange de styles du passé (Colonial, Victorien, etc.). Plus qu’une référence à une période historique précise, c’est une référence globale à un passé révolu, et singulièrement associé à l’enfance, qui vient à l’esprit à la lecture de la brochure de promotion  : vivre à Celebration serait vivre dans

"(...) un quartier où l’on joue à la marelle et au chat-perché, un quartier que l’on peut apprécier depuis la balancelle suspendue sous le porche de sa maison"(6).

21Cette enfance idéalisée, vue sur le mode nostalgique, n’a pas été sans évoquer pour les commentateurs les tableaux de Norman Rockwell :

"Il est facile de s’imaginer Norman Rockwell ici, assis devant son chevalet, son pinceau à la main"(7),

"Ce qu’on voit [dans la vidéo projetée au centre de prévente] est moitié Norman Rockwell, moitié tarte au pommes et 100% Disney"(8).

22La référence historique joue dès lors un rôle de valeur-refuge par rapport à l’évolution récente des villes américaines  ; dans la recréation de ce passé, la compagnie offre bien évidemment la qualité et la renommée de ses services en la matière : Celebration s’apparente finalement à la Main Street des parcs dans sonprocédé de réduction du passé à une série d’images fortes.

23La ville de Celebration, comme Seaside, se pose dès lors comme un antidote au mal urbain moderne en promettant aux résidents une communauté où l’on peut renouer le contact avec ses voisins(ce qui sous-entend bien sûr une ville sans crime), voisins "(...) qui vous amèneront de quoi dîner le jour où vous emménagerez"(9). L’organisation même de la ville est faite pour ressusciter ce principe de bon voisinage, les maisons s’ouvrant largement sur la rue grâce à des porches sur-dimensionnés (cf. la figure 2 montrant le plan d´une maison "typique" de Celebration).Toujours selon ce principe, la place de la voiture est minimisée, la marche à pied étant élevée au rang d’artisan numéro un de la bonne société entre voisins (ce qui est favorisé par les densités plus élevées que dans les banlieues des années cinquante). La conception de la ville reprend à ce titre certaines des idées énoncées par Victor Gruen en son temps ; l’effet pernicieux de l’automobile dénoncé, l’aménagement urbain lui-même est sensé favoriser la pratique piétonnière de la ville : la multiplication des voies piétonnes et des places publiques y concoure, et cet objectif se retrouve jusque dans l’aménagement des maisons (le garage est relégué à l’arrière des lots, ainsi qu´on peut le voir sur la figure 2, à la différence du modèle pavillionnaire classique de banlieue où il occupe traditionnellement les deux-tiers de la façade sur la rue).

Figure 2 : maison de la catéorie «village», de style «Kentland-Coastal», proposée par le promoteur Town & Country Homes, septembre 1997

III - "Trouble in paradise" : un accueil mitigé dans la presse

24Les réactions dans la presse américaine, sans remettre fondamentalement en cause le principe de planification néo-traditionnelle (10), opposent essentiellement deux critiques à Celebration : la première consiste à lui reprocher son parfum de "gated-community"(11) déguisée, la seconde montre les dangers d’une ville gouvernée par la Walt Disney Company.

Une forme de "gated-community"

25Après plusieurs changements, il semblerait que les prix des logements individuels varient de 127.000 à 1 million de dollars,selon leur standing, soit des prix très largement supérieurs à ceux pratiqués dans la région (les estimations varient à ce titre : les prix des logements à Celebration les surpasseraient de 20 à 30% ; K. Archer avance une valeur médiane de 75.700 dollars pour le comté d’Osceola -1997-). Ils’agit bien évidemment du principal écueil relevé par les commentateurs au mélange des classes et des races prôné par la compagnie pour sa ville.

26Malgré les efforts employés par Disney pour attirer des résidents appartenant à différentes communautés (et notamment à travers une campagne de publicité lancée dans des magazines s’adressant la communauté Noire), il semble que les acheteurs soient essentiellement des familles de l’upper-middle class blanche aux dires des journalistes ayant assisté au tirage au sort (12) :

"Le jour de la loterie étaient présents des célibataires, des familles et des couples, des jeunes et des vieux, quelques Asiatiques, un homme portant un turban ; tout de même, c’étaient surtout des Blancs qui avaient fait le déplacement"(13).

27De fait, la structure même du plan révèle le caractère isolationniste de la communauté : il n’existe pas de véritable barrière physique ("Nous avions la volonté bien consciente de ne pas faire une "gated-community". Allez donc dans une petite ville du Sud, vous ne verrez pas de grille à l’entrée."(14)),mais la zone-tampon arborée de 1900 ha la remplace de fait, en assurant la transition avec les espaces naturels de l’extérieur, voire avec l’agglomération d’Orlando et ses dangers potentiels.

"Big Brother is watching you"

28Plus important peut-être que la ségrégation économique, le principal problème soulevé par l’existence et la structure même de Celebration reste la question du contrôle des habitants ainsi que celle du pouvoir local.

29Politiquement, la ville de Celebration n’est pas reconnue comme telle : elle reste une portion de territoire du comté d’Osceola, sans statut de municipalité, et donc sans maire ni conseil municipal élu par les résidents. Elle dépend donc en partie du comté pour un certain nombre de services (et notamment pour les services de police).

30La référence en matière de règlement intérieur est en revanche fixée par la compagnie Disney, ou du moins par son émanation, la Celebration Company. Progressivement, le contrôle devrait revenir aux habitants par le biais d’une Association de Propriétaires (en théorie, une fois tous les logements vendus), cependant, à la lecture du règlement intérieur, M. Pollan souligne que la Celebration Company"(...) se réserve un droit indéfini de désapprouver certaines actions, règles ou programmes de l’Association"(15). Le pouvoir local potentiel se trouverait donc en quelque sorte court-circuité par le haut...

31Il paraît donc délicat dans ce contexte d’augurer du bon fonctionnement interne de la communauté : ce qu’il adviendrait en cas de contestation ou simplement en cas de non-respect de l’une des règles du code interne est encore flou. On connaît néanmoins les moyens de contrôle employés par Disney dans ses parcs d’attraction (jusque dans les années soixante-dix, les hommes portant des cheveux longs étaient systématiquement refoulés à l’entrée). Le problème se corse au vu de la complexité de ce règlement, qui fixe aussi bien les coloris des balcons que les emplacements autorisés pour étendre le linge, aussi la question posée par C. Wilson paraît-elle légitime :

"Qu’adviendra-t-il si vous ne tondez pas la pelouse, et pire encore, si vous ne sifflez pas en même temps ?"  ;

32ainsi que le faisait remarquer J.B. Racine à propos des utopies urbaines,

"Ce qui était condition nécessaire de l´organisation urbaine devient, sur l´autre versant, condition disciplinaire du phénomène urbain, son côté carcéral"(16).

33La question de C. Wilson peut être prolongée par les interrogations de K. Falconer Al-Hindi et C. Staddon à propos de Seaside (1997) : rien n’empêche finalement les habitants de s’enfermer chez eux pour regarder la télévision malgré les efforts déployés en matière d’urbanisme pour les faire participer à la vie publique. Dans ce cas, la conception déterministe de l’aménagement urbain tel qu’il est pratiqué dans le cadre de la planification néo-traditionnelle serait sérieusement mise en échec. La question reste ouverte, d´autant que dans le cadre des cités ouvrières par exemple, haut lieu de l´expérimentation de la réforme sociale par l´architecture, il a été montré que les schémas d´urbanisme ne pesaient pas forcément sur les pratiques des habitants : ainsi, pour la cité ouvrière d´Ugine, O. Söderström a récemment montré que l´organisation socio-spatiale très stricte qui devait découler du projet est en fait beaucoup plus subtile qu´il n´y paraît, les habitants s´appropriant l´espace à leur manière au fil du temps (1997).

34Au total, la vie en communauté fortement encouragée (favorisée jusque dans l’aménagement interne des logements) et la présence de discrets systèmes électroniques de surveillance tendent à créer une communauté "panoptique", trait également remarqué par K. Falconer Al-Hindi et C. Staddon (1997) dans le cas de Seaside.

Conclusion

35L’exemple de Celebration, outre qu’il provoque l’admiration par la puissance des moyens mis en place, rejoint, voire dépasse, les constatations de M. Sorkin (1992) et S. Zukin (1995) sur la dislocation des espaces publics américains et les ressemblances accrues entre la ville et les parcs d’attraction. Ici, c’est le parc (et son créateur, la compagnie Disney), qui produit la ville, en allant à la rencontre des attentes de la middle-classe blanche en matière d’aménagement urbain. La forme prise par ces attentes s’inscrit dans un mouvement déjà amorcé depuis l’expérience de Seaside, mais semble véritablement servir de modèle à atteindre dans ses objectifs de retour à la vie publique pour beaucoup de villes "normales" ("Ils essaient de créer ce que nous autres essayons de préserver"(17)).

36Dans ces conditions, un certain nombre d’interrogations restent bien évidemment en suspens : le "modelage" des habitants de Celebration sera-t-il efficace et parviendront-ils à donner vie à ce qui n’est pour l’instant qu’une vidéo publicitaire ? Quelle place prendront effectivement ces habitants dans le contrôle deleur ville ? Qu’adviendra-t-il enfin d’ici à quelques années, si jamais Disney décidait de se désengager du projet ?...

37Finalement, à l’heure où le projet Val d’Europe près de Disneyland Paris est réactivé, on peut se demander quelles seront les formes (tant politiques qu’urbanistiques) adoptées et si cet aménagement, avec ses connotations culturelles et son règlement intérieur contraignant, supporterait une transposition hors desfrontières nord-américaines.

38Absolutely Florida, 1997, "Celebration !", section Cityscapes, http ://www.abfla.com, novembre.

1 cette section, encore inexistante en 1986, reste cependant associée aux Parcs de Loisirs dans les rapports annuels aux actionnaires, gommant quelque peu le déclin des parcs (Walt Disney Company Annual Report, 1996).

2 déclaration de Charles Adams, responsable pour la compagnie Disney de la branche Immobilier (Disney Development Company), cité dans un bulletin d’information de la société Health Data Management chargée de la construction de l’hôpital (mars 1996).

3 extrait du film de promotion d’EPCOT cité par K.A. Marling (1997) p. 151. La référence à Victor Gruen est également tirée de cet ouvrage, p.146.

4 J.H. Kunstler (1993) :p. 227.

5"Ce qui nous intéresse, c’est l’infrastructure civique, car c’est de l’él&e acute ;ment humain que découle une communauté agréable" : déclaration de Michael Eisner, Président de la Walt Disney Company, reprise dans le journal électronique Absolutely Florida (novembre 1997).

6 brochure de promotion (Celebration Chronicle).

7 D. Lease (The Free-Lance-Star, 1996).

8 C. Wilson (USA Today, 1995).

9 extrait de la brochure de promotion de Celebration.

10 à l’exception de R. Rymer (Harper’s, 1995) qui dénonce la tradition artificiellement produite de la ville.

11 "communauté grillagée" en référence aux développements récents de quartiers protégés par des limites physiques, véritables villes dans la ville patrouillés par des services privés de surveillance.

12 la compagnie ne souhaite apparemment pas pour le moment révéler les caractéristiques démographiques des 700 résidents de la première tranche du projet.

13 J. Rothchild (Timemagazine, 1995).

14 déclaration de M. Paris, directeur des ventes de Celebration, à C. Wilson (USA Today, 1995).

15 M.. Pollan (House & Garden, 1996), p.66.

16 J.B. Racine (1993),p.147.

17 d’Orlando,à C. Wilson (1995).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sophie Didier, « Disney urbaniste : la ville de Celebration en Floride », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Dossiers, document 96, mis en ligne le 06 mai 1999, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/1147 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.1147

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Auteur

Sophie Didier

CNRS-UMR 5603, Société, Environnement, Territoire, Francesophie.didier@univ-pau.fr

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