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2009
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Rôle de la mare dans la gestion des systèmes pastoraux sahéliens du Ferlo (Sénégal)

Role of the natural ponds in the management of the Sahelian pastoral systems of Ferlo (Senegal)
Oumar Sy

Résumés

Le Ferlo est une région où le problème de l’eau se pose avec acuité. Les mares y sont cependant nombreuses et diversifiées. Du début jusqu’à la fin de la saison des pluies, elles sont fréquentées par la population humaine et animale, et contribuent dans la structuration des mouvements pastoraux. Mais de plus en plus, des changements de leur capacité d’accumulation d’eau ou de la qualité de l’eau sont notés, suite à divers facteurs. Après s’être désengagé de la gestion des forages les autorités gouvernementales ont initié l’aménagement de certaines d’entre elles pour réduire le déficit en eau dans la région.

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Texte intégral

Introduction

1Situé entre les latitudes 15° et 16° 30 nord et les longitudes 13° 30 et 16° ouest (carte 1), le Ferlo correspond grossièrement à la zone pastorale du Sénégal. Il s’étend de la vallée du fleuve Sénégal jusqu’aux franges du Bassin arachidier sur plus de 60 000 km2 (Wane et al., 2006). Les pasteurs, principale composante socio-économique de cette région, se reconnaissent plus dans les « sous espaces » du Waalo, du Jolof, du Kayor et du Ferlo, par de multiples critères, dont la nature du substrat du sol et la pluviosité. Cette dernière (dont dépend l’essentiel des activités productives) est déterminée par l’importance des perturbations issues des flux de mousson, responsables des lignes de grains (plus de 80% des précipitations) concentrées entre août et septembre. La variabilité annuelle et inter-annuelle du nombre de ligne de grains s’exprime par une diminution latitudinale des précipitations du sud vers le nord (365mm et 208mm respectivement à Linguère et à Podor pour la normale 1974-2003) et d’est en ouest (335mm et 204mm respectivement à Matam et à Dagana pour la même normale). Ainsi, la partie septentrionale, plus aride, est une zone pastorale pure, mais aussi de départ massif de transhumants en fin de saison des pluies ; contrairement à ce qui se passe dans la partie méridionale, agro-pastorale où les conditions pluviométriques autorisent plus de sédentarité et des cultures de mil, de haricots, de pastèque et parfois d’arachide.

2Zone de brassage d’animaux venus du Bassin arachidier en fin de saison sèche et des pays limitrophes (Mali et Mauritanie) en toutes saisons, le Ferlo est confrontée à un problème d’aménagement du fait de l’insuffisance de ses ressources en eau, mais son substrat recèle des nappes exploitables selon leur profondeur par des puits et des forages, en saison sèche ; alors qu’en saison des pluies, les pluies assurent le remplissage de mares de capacités variables. Leur rôle dans le système pastoral a été et reste stratégique, notamment dans l’abreuvement du cheptel.

Carte 1 : Cartes de situation du Ferlo (Sénégal)

Source : O. Sy

3La politique d’installation des forages a certes contribué à résorber les déficits en eau, mais le problème subsiste en raison de la déficience de la qualité de gestion de ces ouvrages. C’est ainsi que l’Etat du Sénégal a opté pour une meilleure valorisation des eaux de ruissellement, par l’«aménagement de mares» entre autres.

4Jusqu’à présent, les mares contribuent à expliquer la mobilité des troupeaux. En réduisant les déficits d’alimentation en eau des populations pastorales, elles permettent de s’approcher de l’exploitation optimale des pâturages et contribuent à la préservation des écosystèmes. Notre objectif dans cet exposé est d’arriver à mieux faire connaître le rôle de la mare dans l’optimisation de l’exploitation des potentialités pastorales.

Approche méthodologique

5L’inventaire des mares a été fait dans chaque zone de forage. Le Global Positioning System (GPS) a été utilisé pour la localisation de mares intéressantes du point de vue pastoral.

  • 1 Ensemble des campements dont les animaux fréquentent le forage

6Un questionnaire et un guide d’entretien ont été exploités pour évaluer la gestion des mares. Le premier a été soumis à 395 chefs de ménages, représentant 15% de la population de la zone d’étude. Pour les besoins de l’échantillonnage, nous avons stratifié la zone d’étude en sous unités éco-géographiques homogènes (Est, Ouest, Nord, Centre et Sud) dans lesquelles nous avons choisi des groupes de forages. Nous avons travaillé sur 15% des forages de chaque sous zone, soient 20 forages. Sur la base d’enquêtes exhaustives réalisées antérieurement au niveau de certains forages, nous avons calculé le nombre moyen de concessions par aire de desserte1 (167). Dans chaque zone de forage, 25 chefs de ménages (soit 15%) ont été interrogés. L’aire de desserte théorique de l’ouvrage a été découpée en quatre secteurs, au sein desquels les enquêtes ont été faites. Les données collectées à partir des questionnaires ont été saisies sur « Access ». Les requêtes ont été exportées vers « Excel » pour faire des graphiques. Le second outil a été présenté aux gestionnaires des forages et à des agents de l’administration (agent d’élevage, sanitaire, des eaux et forêts, etc.). Le même protocole d’enquête a été reconduit auprès de 84 gestionnaires de troupeaux dans la partie pastorale de la zone fluvio-lacustre.

Résultats et discussions

Une région jadis difficile d’exploitation

  • 2 Zone de la vallée alluviale, par opposition à la zone du Jeeri exondée, jamais atteinte par la crue (...)

7Situé dans le domaine sahélien, le Ferlo est caractérisé par la variabilité spatio-temporelle de ses précipitations dont les incidences sur le niveau de remplissage des mares et le développement des pâturages ont souvent rendu précaire le système pastoral d’une part, et justifié les mouvements pendulaires entre le Waalo2, en saison sèche (pour ses parcours de décrue) et le Jeeri en saison des pluies (pour ses vastes pâturages et mares) (Barral, 1982) où la mare a expliqué la distribution des campements.

8Le pasteur peul y a maintenu l’élevage traditionnel plus ou moins durablement grâce aux possibilités d’abreuvement qu’offraient les mares et l’éclatement de la charge pastorale, partant, l’exploitation optimale des ressources fourragères qui en résultait.

9Les mares étaient utilisées différemment : en début de saison des pluies, certaines grandes mares étaient mises en défens contre le bétail, au moyen d’une haie épineuse. Elles servaient à l’alimentation humaine ; ce n’est qu’après le tarissement des petites mares qu’elles étaient ouvertes aux animaux. Dès tarissement de ces mares, des puisards y étaient creusés pour poursuivre l’exploitation du point d’eau jusqu’à ses dernières possibilités (Grosmaire, 1957). Ensuite, la région et ses vastes pâturages étaient abandonnés, faute d’eau.

10La politique d’hydraulique pastorale initiée par l’Etat dans les années 1950 pour fixer les pasteurs a connu des résultats mitigés. De même, une des conséquences des politiques d’ajustement structurel des années 1980 y a été le désengagement simultané de l’Etat et des pasteurs de la gestion des forages. Aujourd’hui, c’est le statu quo (gestion informelle des forages) avec l’impossibilité de mettre en œuvre la réforme sur la gestion (privée) des forages motorisés. De ce fait, malgré un maillage assez dense de la région en forages (15 km de rayon pour chaque forage), la mare continue d’être stratégique dans le système pastoral du Ferlo.

De la survivance de pratiques pastorales

La diversité des mares en fonction de la réalité locale

11Une mare peut naître par suite du pourrissement de la racine principale d’un gros arbre tel que Adansonia digitata, ou d’une termitière et à l’effondrement du sol qui en résulte. Le sanglier a aussi été identifié comme pouvant être responsable de la mise en place d’une mare. Au Ferlo, les plus importantes par la taille sont situées dans des couloirs interdunaires (forme ovale) ou des vallées fossiles où elles se présentent sous la forme de grains de chapelet. Lavigne Delville et Camphuis (1998) les classent en trois types, selon leur localisation et leur mode d'alimentation : mare sur lit mineur, mare sur lit majeur et mare recevant des écoulements de versant.

12Leur mode de mise en place ainsi que leur localisation expliquent la typologie qu’en font les pasteurs, pour qui, le critère déterminant dans leur classification reste la taille :

  • la fetere (pl : pete) qui est une toute petite mare, une flaque d’eau. Dans le Ferlo, elle se localise sur les dalles ou leur encaissement (cuirasses ferrugineuses de l’est) ;

  • la beelel (un peu plus grande) par contre est un diminutif de weendu ;

  • la weendu, très étendue, contient de l’eau, 3 à 4 mois après l’arrêt des pluies en général ;

  • la lummbol est en général plus vaste, mais peu profonde. Dans des zones agro-pastorales colonisées par les Sereer comme Thieul, la mbel est utilisée pour la désigner. D’autres expressions sont aussi usitées pour désigner des plans d’eau plus ou moins semblables ; il s’agit de «luggere» ou mare d’étendue moyenne et entourée d’un bosquet, de «baltirgol» ou ruisseau temporaire, de «caadngol» ou ruisseau (BA, 1986).

La mare, une source d’alimentation en eau accessible à tous

13Le choix du site d’implantation du campement par le pasteur obéit à une logique : proximité d’une mare à usage humain et d’une autre, plus grande, mais un peu plus éloignée, pour l’abreuvement des animaux. Aujourd’hui, même la mare aménagée, tarit en saison sèche du fait de la forte évaporation et des prélèvements divers. Par contre en saison des pluies, elle reste la principale source d’alimentation des populations (79% d’usagers) (figure 1).

Figure 1 : Sources d’alimentation des populations (%) en saison des pluies

Source : O. Sy

14La particularité de la mare est sa facilité d’accès, contrairement au puits ou au forage dont l’utilisation est réglementée. L’accès gratuit à la mare (de juillet à janvier selon les sous zones (tableau 1) permet l’allégement du coût de l’abreuvement et une meilleure exploitation des ressources fourragères.

Durée et nombre de mare en eau

Zones de Forages

2 mois

3 mois

4 mois

5 mois

6 mois

Sarré Lamou

8

11

1

0

0

Sagatta Jolof

0

2

6

0

0

Tessékéré

2

5

1

0

0

Vélingara

1

8

4

6

6

Yonoféré

7

7

2

0

1

Boki Divé

8

3

2

0

0

Kothiédia

10

3

1

0

0

Tableau. 1 : Nombre de mares répertoriées par zone de forage selon leur durée de maintien en eau après l’arrêt d’une saison des pluies moyenne.

Source : O. Sy

15Dans cette région, 67% des populations utilisent la mare dès son remplissage pour leur eau de boisson. En effet, les bergers en polindaaji (ou transhumance de début de saison des pluies) utilisent ces eaux dès les premières pluies. En fin de saison sèche, les animaux passent et repassent au niveau de la mare habituelle pour se « rendre à l’évidence » de son tarissement. Pour les localités ne disposant pas de puits ou situées loin des forages, ces eaux sont destinées aux usages domestiques : alimentation humaine, cuisson, linge, abreuvement des jeunes animaux, etc. Une des raisons serait que les points d’eau de meilleure qualité exigent un coût financier et physique. Aussi, la tradition (affection pour l’eau de mare) reste vivace chez certains groupes pastoraux (faafaabe, haaboobe et ferlanke).

Diversité régionale dans l’utilisation des mares

16La précocité de la fréquentation des mares (dès la première pluie utile) varie d’une sous zone à l’autre (figure 2). A l’ouest et au centre, la proximité de centres urbains secondaires (Dahra et Linguère) et l’important taux de couverture en points d’eau (puits et forages) expliquent la lenteur des populations à avoir recours aux mares.

Figure 2 : Proportions de populations fréquentant les mares dès leur remplissage selon les sous zones

Source : O. Sy

17Au nord, l’essentiel des forages est fermé en début de saison des pluies. Par contre, la durée de vie éphémère des mares et la nécessité de se soustraire à la corvée d’eau et à son coût font que les mares y sont utilisées dès leur remplissage

18Par contre à l’est, les mares ont de grandes capacités et comme dans toutes les zones agro-pastorales, les activités agricoles mobilisent les populations. Ainsi, elles se déchargent des tâches d’exhaure.

19Au sud, certains ouvrages peuvent même être fonctionnels, mais les agro-pasteurs, partagés entres les champs et les animaux, préfèrent (71%) se rendre aux mares, plus proches.

20Moins de la moitié (42%) de la population du Ferlo utilise toutes les mares pour l’eau de boisson. En effet, toute eau serait bonne à boire dès l’instant que le pasteur est en polindaaji. La priorité est de sauver des bêtes qu’il faudra conduire vers de bons pâturages, le plus souvent éloignés des points d’eau permanents.

21Par contre, à l’ouest et au sud, les mares proches des campements sont écartées. Il en est de même pour les localités proches des centres urbains et à forte composante wolof (Boulal, Sagatta). La population de Kothiédia (62%) l’utilise exceptionnellement (panne de forage) pour ses besoins alimentaires.

22Les formes traditionnelles de gestion des mares ne sont plus en vigueur, surtout avec le fort taux d’accroissement des effectifs de bétail et la recrudescence de la mobilité pastorale. D’ailleurs, cette dernière explique entre autres, les dynamiques en cours.

Evolutions récentes

De la dynamique spatio-temporelle d’une mare

23Dans sa dynamique spatio-temporelle, une toute petite mare (fetere) peut se transformer en une grande mare (weendu), en passant respectivement par la beelel et la lummbol. L’évolution de la taille d’une mare dans les deux sens (de la fete vers la weendu ou vis versa) est le résultat de plusieurs facteurs (figure 3). Elle a lieu sur plusieurs années.

Figure 3 : Modèle de dynamique de la mare au Ferlo

Source : O. Sy

24Cependant, ce modèle de dynamique de la mare comporte quelques limites. En effet, il n'y a pas d'accord sur les dimensions que doit avoir chaque type de mare. Le nom local donné à la mare dépend de la taille de cette dernière lors de sa découverte et de son exploitation par le groupe pastoral habitant ses environs. Ainsi, une beelel donnée peut avoir un volume et une durée de rétention plus importants qu’une weendu dans un même secteur.

Des facteurs de dynamiques et de modifications

25Globalement, l’importance de la taille et du nombre des mares augmente du nord au sud et d'ouest en est, suivant ainsi le gradient pluviométrique, mais aussi selon la nature du substrat. De même, les pasteurs sont unanimes à dire que « plus une mare est fréquentée par le animaux, plus elle se creuse, plus elle s’agrandit ».

26En effet, 47% des interrogés à l’est et 55% au sud considèrent que l’assiette des mares a augmenté dans leur zone, du fait de la présence de vallées fossiles, de conditions pluviométriques meilleures, mais aussi de l’affluence d’animaux autochtones et transhumants vers les mares dès les premières pluies. Toujours à l’est, des pluies parfois très intenses, sur un réseau hydrographique assez bien hiérarchisé, des pentes assez fortes, peuvent favoriser le ruissellement concentré et l’érosion hydrique, par conséquent, l’ensablement des mares.

27Par contre, 86% pensent que le nombre comme la taille des mares du nord régressent. Cette régression s’explique par le fait que beaucoup de troupeaux sont en transhumance de fin de saison sèche dans le sud Ferlo. D’autres facteurs secondaires (sécheresse et érosion éolienne au nord et érosion hydrique à l’est) sont aussi évoqués.

28A l’ouest la tendance est à la régression de la taille des mares du fait de l’évaporation mais aussi de la faible fréquentation par les troupeaux dès le remplissage des mares. Des aménagements y ont entraîné une réduction de la taille des mares. Dans le lit mineur du Bas-Ferlo des endiguements ont conduit à l’obstruction de voies de passage des eaux de ruissellement en direction des mares (Sy, 1998). Aussi, les défrichements suite à l’avancée du front de l’arachide ont entraîné le dépérissement de beaucoup de mares (absence de brise vent, obstruction des voies d’accès aux mares par les champs...) (Touré, 1997).

29Ce sont là quelques facteurs à l’origine de la diminution du nombre et de la taille des mares, partant la qualité de leurs eaux.

Une plus grande dégradation de la qualité des eaux de mare

30Les réponses des acteurs par rapport à leurs perceptions sur la qualité des eaux de mares sont partagées (figure 4) ; mais ils ont admis qu’au fur et à mesure que la pluie se raréfie, la quantité d’eau diminue et la qualité avec. L’eau devient verdâtre. De petits vers pullulent au fond. Ces derniers seraient responsables de la schistosomiase qui a sévi en 1999 à Warkhokh où existe une mare aménagée, très fréquentée et de durée de vie plus longue.

figure 4 : Perceptions de l'évolution de la qualité des eaux des mares au Ferlo par les populations

Source : O. Sy

31La mauvaise qualité des eaux au sud serait le fait des fortes concentrations de bétail sur les mares dès les premières pluies ou de leur long séjour aux environs de ces mares. Au niveau des sous-zones à forte densité humaine, les populations sont plus sensibilisées aux questions d’environnement, de salubrité et d’assainissement. De même, ces zones ont un réseau de puits et forages beaucoup plus dense.

32Dans les couloirs de proximité de la zone fluvio-lacustre, l’eau du lac est plus incriminée comme étant à l’origine de maladies d’origine hydrique que celle des mares. Plusieurs facteurs se conjuguent pour faciliter la pollution des mares : implantations anarchiques de campements (surtout ceux des transhumants) par rapport aux mares, importance des troupeaux, situation des mares dans des vallées ou bosquets (réceptacles de cadavres d’animaux et de déchets de toute sorte), réémergence de foyers de trématodoses au lac de Guiers, au Bas-Ferlo et dans certaines zones du Ferlo (Linguère et Barkedji)…

La mare, une composante dans la mobilité pastorale

33Dès les premières pluies, les pasteurs désertent les forages. Il en est de même au niveau de certains forages de la zone nord, dès les premières pauses pluviométriques. Ainsi, les mares jouent un rôle essentiel dans la détermination et la structuration des axes de transhumance, mais aussi des lieux de stationnement. Une description des principaux circuits de transhumance permet de s’en rendre compte.

34Les bergers d’ovins du nord en transhumance vers les régions de Tambacounda, du Saloum ou de la Gambie, partent plus tôt afin d’utiliser les mares le plus possible mais aussi de se soustraire à la taxe d’abreuvement au niveau des forages. Les groupes d’éleveurs qui passent souvent la saison sèche ensemble ont des lieux de stationnement connus à l’avance ; les mares aménagées (Mbaye, Koumoukh...) en constituent des points de passage obligés. Les bergers serer du Bassin arachidier entrent dans le Ferlo par Déaly ou Gassane. Ils longent les chapelets de mares de la vallée du Sine. Si la pluie tarde à s’installer normalement, ils continuent vers celles de Vélingara. Plus tard, ils remontent vers le nord en direction des mares de Mogré et de Some, avant de descendre vers celles de Thiargny.

35Les commerçants de bovins et d’ovins en provenance du Mali et/ou de la Mauritanie et passant par le poste de Matam, empruntent la route Linguère-Matam, jalonnée de mares artificielles créées lors de la construction de la route ou les rives du Ferlo (Sy, 2003).

Le projet d’aménagement des mares, un « couteau à double tranchant »

36L’Agence de Promotion du Réseau Hydrographique National (APRHN) a pour objectifs d’aménager et de réhabiliter le Réseau hydrographique national. Pour la rétention des eaux de ruissellement, la mare et la retenue collinaire ont été testées (Anonyme, 2001).

Un projet qui peut être pertinent

37La faiblesse et l’irrégularité des pluies ont renforcé l’aridité et l’improductivité des ressources forestières, fauniques et hydriques, partant, la re-dynamisation des activités éoliennes. L’harmattan, chaud et sec est responsable de l’importante évaporation des eaux de surface et en partie de la baisse du niveau des nappes. Aussi, les premières averses qui s’abattent sur les sols dénudés, en raison de leur surexploitation provoquent rigoles, ravins, transport d’éléments minéraux, ensablement des mares… Il résulte de la dégradation des conditions physiques puis humaines (niveau de pauvreté élevé) l’instabilité des sociétés pastorales (recrudescence de la mobilité, exode vers les villes, etc.). Pour inverser ces tendances, des actions d’envergure sont nécessaires. En effet, les quantités d’eau précipitées pourraient être mieux mobilisées. A titre d’exemple, pour une précipitation annuelle de 300 mm et un coefficient de ruissellement de 0,25 sur un bassin versant de 150 km2, c’est quelques dix millions de m3 qui sont annuellement récupérables (Anonyme, 1987).

38Entre 2001 et 2006, l’agence devait réaliser et réhabiliter des ouvrages en même temps (Anonyme, op cit). Actuellement, deux projets de lacs artificiels sont en cours d’étude (Ranérou) ou de réalisation (Dodji). Le premier aura 10 km de long sur 4 km de large, pour 6m de profondeur ; alors que le second aura pour dimensions : 10 km de long, 5 de large et 4,5 m de profondeur. L’agence a eu le mérite d’augmenter les ressources en eau et d’améliorer l’exploitation des ressources pastorales, malgré leur coût financier et environnemental.

Des coûts très élevés par rapport aux impacts attendus

  • 3 Ce coût a été revu à 50 millions pour la mare standard de 120 000m3 soit (200m*200m)*3, lame d’eau (...)

39L’APRHN avait estimé le coût3 d’une mare à 322 000 000 F CFA (compte non tenu des frais d’étude et de réalisation) [(Anonyme, op cit), coût très élevé comparé aux aménagements semblables réalisés au Mali (Gadelle, 1989). Par ailleurs, les populations, habituées à la gratuité du service public, n’ont pas accepté de payer l’eau de mare. En plus, aucune solution (contrainte) n’est proposée pour faire payer les récalcitrants; par conséquent ces aménagements sont difficilement rentabilisables. En outre, une longue stagnation de cette eau sous cette latitude entraîne une prolifération d’agents pathogènes. Cependant, ces impacts négatifs peuvent être amoindris par les possibilités d’exploitation optimale des ressources pastorales qu’offrent les aménagements.

Des perspectives de gestion complémentaire des mares et des forages

40En raccourcissant la période d’utilisation des forages, on réduit la pression sur le matériel d’exhaure des forages, mais surtout sur les parcours desservis ; et peut-être, ainsi, les forages seront-ils mieux gérés. Les fonds collectés au niveau des mares peuvent servir à leur amortissement et plus tard, à celui des forages.

41Une meilleure répartition des points d’eau pendant toute l’année permettra une exploitation plus rationnelle des ressources fourragères. Avec une réduction des distances entre points d’eau et pâturages, il est possible de réaliser des économies zootechniques en augmentant le temps de pâture (jusque là consacré aux déplacements à la recherche d’eau). Pour cela, les aménagements futurs devront tenir compte de la distance par rapport au forage, du stock annuel de fourrages et de sa qualité, mais aussi de la présence de populations autochtones aux environs pour assurer la gestion durable des ouvrages.

Conclusion

42Déterminante dans l’implantation des établissements humains et pour les usages, la mare reste le point d’eau le plus justement partagé au Ferlo. Son eau est exploitée en totalité même si sa médiocre qualité en fait une source potentielle de maladies pour les usagers. La dynamique spatio-temporelle est généralement fonction du gradient pluviométrique (nord/sud et ouest/est), de l’importance du niveau de sa fréquentation par les animaux et accessoirement, de facteurs environnementaux locaux (érosion, niveau de recouvrement végétatif, qualité de l’aménagement, etc.).

43Pour maintenir le rôle stratégique de la mare dans le fonctionnement des systèmes pastoraux et augmenter les disponibilités en eau, l’Etat a initié l’aménagement de certaines d’entre elles, mais les coûts économiques et environnementaux attendus peuvent être dissuasifs.

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Bibliographie

Anonyme., 2001, Déclaration de politique générale de Madame le premier ministre devant le parlement. Contribution du secteur de l’hydraulique. Dakar, 39 p.

Anonyme. , 1987, « Rapport du groupe inter-ministriel chargé de la formulation d’une politique de développement de point d’eau en milieu rural en vue de la satisfaction des besoins du cheptel ». Dakar, 46 p.

Bâ C., 1986, Les peul du Sénégal- Etude géographique. Dakar : NEA, 394 p.

Barral H., 1982,  «Le Ferlo des forages»: gestion ancienne et actuelles de l’espace pastoral ». Etude de géographie humaine. Dakar : ORSTOM, 85 p.

Gadelle F., 1989, « Hydraulique pastorale et rurale. Le surcreusement des mares ». Paris : Collection Maîtrise de l’eau.

Grosmaire., 1957, « Eléments de politique sylvo-pastorale au Sahel sénégalais » ; Troisième partie- Les conditions du milieu. Fascicules 9- 10- et 11. Saint- Louis.

Lavigne Delville P., et Camphuis N., 1998, « Aménager les bas-fonds dans les pays du Sahel ». Paris : Collection Le Point Sur, 527 p.

Sy O., 1998, « Ecosystèmes et Environnement : Problèmes et perspectives du pastoralisme dans le Bas-Ferlo remis en eau ». Dakar : UCAD, 93 p.

Sy O., 2003, « Dynamique des ressources en eau et de la mobilité pastorale en zone sylvo-pastorale ». Dakar : UCAD, 186 p.

Sy O., 2006, « Problématique de la dynamique et de l’aménagement de la zone fluvio-lacustre et de l’espace ferlien du Sénégal ». Bordeaux : PUB, 387 p.

Touré O., 1997, « Espace pastoral et dynamiques foncières au Sénégal ». Dakar : IIED, 33 p.

Wane A., Ancey V., et Grosdidier B, « Les unités pastorales du Sahel sénégalais, outils de gestion de l’élevage et des espaces pastoraux. Projet durable ou projet de développement durable ? », Développement durable et territoire, Dossier 8 : Méthodologies et pratiques territoriales de l’évaluation en matière de développement durable, mis en ligne le 13 décembre 2006.

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Notes

1 Ensemble des campements dont les animaux fréquentent le forage

2 Zone de la vallée alluviale, par opposition à la zone du Jeeri exondée, jamais atteinte par la crue annuelle.

3 Ce coût a été revu à 50 millions pour la mare standard de 120 000m3 soit (200m*200m)*3, lame d’eau >3m.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Oumar Sy, « Rôle de la mare dans la gestion des systèmes pastoraux sahéliens du Ferlo (Sénégal) », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 440, mis en ligne le 17 mars 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/22057 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.22057

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Auteur

Oumar Sy

syoumarsy@yahoo.frEnseignant-chercheurUniversité de Ziguinchor ; BP : 523, Senegal

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