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2009
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Covisibilité et peuplement aux Açores. Estimation de l’importance du facteur de covisibilité dans la répartition des populations aux Açores

Co-visibility analysis and settlement in Azores. How important is the co-visibility factor for population repartition in Azores archipelago?
Louis Marrou et Frédéric Rousseaux

Résumés

Cet article propose d’étudier les relations de covisibilité entre différentes îles de l’archipel des Açores dans un contexte d’analyse géographique de la répartition des populations. La problématique est la suivante : voir ou être vu correspond-il à une variable pertinente influençant le choix des zones d’habitation dans le cadre spécifique de l’archipel des Açores ? La littérature souligne de nombreuses fois les rapports de covisibilité qu’entretiennent les différentes îles. À l’aide d’une méthode d’analyse basée sur un algorithme de covisibilité, il est proposé une quantification de ces rapports. Les algorithmes de covisibilité sont très consommateurs en termes de temps de calcul. Pour pallier cela, une méthode d’optimisation du calcul de covisibilité est proposée. La méthode est fondée sur la réduction du nombre et l’optimisation du placement des points de vue utilisés pour le calcul. Les résultats obtenus montrent des gains de temps importants. Une seconde partie présente une méthode d’analyse spatiale qui permet de définir et de quantifier la part des habitants vus d’une île à l’autre. Enfin, les résultats sont analysés, cartographiés et discutés dans une dernière partie. Le facteur de covisibilité n’explique pas à lui seul la répartition des populations mais lui apporte un nouvel éclairage. Il aide aussi à comprendre les relations complexes qui animent ces îles dans la perspective très actuelle de réflexion sur de nouvelles problématiques d’aménagements dans l’archipel.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 « Já percebi que o que as ilhas têm de mais belo e as completa, é a ilha que está em frente – O Cor (...)

1Le roman amiral de la littérature açorienne Mau tempo no Canal (Mauvais temps sur l’archipel, dans sa traduction française) de V. Nemésio, publié en 1945, s’ouvre sur trois citations dont une fameuse de R. Brandão tirée de son ouvrage de 1926 sur l’archipel des Açores. Dans As ilhas desconhecidas, celui-ci fait découvrir aux portugais cet archipel des brumes. Il fait la remarque suivante : « Au loin, apparaît pour ne plus me quitter de la montée, l’autre île, São Jorge, qui s’étire de tout son long. J’ai déjà compris que ce que les îles ont de plus beau et de plus complémentaire, c’est l’île qui est en face : pour Corvo, Flores ; pour Faial, l’île de Pico ; pour Pico, São Jorge ; pour São Jorge, Terceira et Graciosa1… » (Brandão, 1926).

  • 2 Y. Lacoste insiste particulièrement sur l’importance de la visibilité pour la maîtrise militaire de (...)
  • 3 « De la visibilité du Mont-Blanc au sommet du Puy de Dôme » par Jean de Lagaye (Aide-météorologiste (...)

2L’idée exposée dans cet article est de chercher la traduction géographique et spatiale de cette assertion et de poser la question de la covisibilité entre îles. Cette question n’est pas nouvelle en géographie. Elle a été abordée dans les recherches sur le paysage2 (Lacoste, 1977) et est présente dans de nombreuses études d’aménagement paysager (architecture ou étude d’impact des aménagements d’autoroute, par exemple). Elle est aussi présente dans la notion d’« espaces convexes », ceux où existent des liens de visibilité potentiels entre les individus, que l’on retrouve dans la théorie urbanistique de la syntaxe spatiale (Hillier, 1984). Dans une thématique plus proche de cette recherche, Le Dû et Gouery proposent une méthode permettant de cartographier les zones vues de la mer à l’aide d’un algorithme de covisibilité (Le Dû et al., 1993). La visibilité lointaine passionne les scientifiques depuis longtemps comme le prouvent les nombreux comptes-rendus du Congrès des Sociétés Savantes sur les observations faites entre l’Observatoire du Puy de Dôme et le Mont-Blanc3. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, une controverse existe sur la visibilité entre ces deux sommets séparés d’un peu plus de 300 kilomètres. Aux Açores, ce n’est pas tant la visibilité du Pico (2381 mètres d’altitude) depuis chacune des îles du groupe central qui est en question mais celle de savoir si une certaine proximité visuelle peut faire partie (et dans quelle mesure) des multiples facteurs explicatifs d’une façon de peupler un territoire.

3La question de la visibilité est aussi intrinsèquement liée au paysage. Sans entrer dans les nombreuses définitions, issues des différents champs scientifiques qui traitent de « l’objet » paysage, celui-ci est classiquement défini par la Convention Européenne du Paysage (Conseil de l’Europe, 2000) comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Les travaux du laboratoire THEMA de Besançon mettent en avant ces interrelations entre paysages et covisibilité en proposant des méthodes de construction de « cartes de soumission à la vue » dans le cadre d’études d’impact d’aménagements dans un paysage (Griselin et al., 2006).

4La présente étude ne traite que de la perception visuelle qu’ont des populations par rapport à ce paysage. C’est pourquoi les termes de panorama ou de zone de visibilité sont ici préférés à celui de paysage. Ces termes ont l’avantage de réduire le concept de paysage à une simple approche visuelle. Ils reprennent la définition du « paysage visible » développée par Brossard et Wieber 1984). Il s’agit « des éléments de la scène paysagère » offerts à la vue. C’est la portion de l’espace qui est vue d’un ou de plusieurs points.

5L’objectif de cet article est d’estimer l’importance de la covisibilité comme facteur dans le choix des zones habitées. L’hypothèse formulée est que les zones, où la population des îles est la plus importante, sont situées en position très favorable de covisibilité. Afin de valider cette hypothèse ou d’en estimer au moins quantitativement la pertinence, il est proposé dans cet article une méthode d’analyse spatiale fondée sur un algorithme de covisibilité.

Morphologie de l’archipel des Açores

6L’archipel des Açores (figure 1) est l’un des quatre archipels de la Macaronésie (région biogéographique comprenant également les archipels du Cap-Vert, des Canaries et de Madère). C’est une région autonome portugaise qui comprend neuf îles : Santa Maria, São Miguel, Terceira, Graçiosa, São Jorge, Pico, Faial, Flores et Corvo. Situé dans l’océan Atlantique, 1500 kilomètres au large de la péninsule ibérique, l’archipel s’étire sur plus de 600 kilomètres d’Est en Ouest. Flores, l’île la plus occidentale, se situe à 3500 kilomètres des côtes nord-américaines. Ce sont ces distances importantes qui expliquent que le peuplement de l’archipel soit récent. La « découverte » de Santa Maria date de 1427, et il faudra près d’un siècle pour que les Portugais s’installent jusqu’aux confins de l’archipel, sur la petite île de Corvo.

Figure 1. L’archipel des Açores et les trois zones d’étude.
Carte de la répartition de la population en 2000, d’après Porcheret.

7Les Portugais sont les premiers à s’installer sur ces îles volcaniques, au climat tempéré océanique. C’est par bateau que se fait la progression dans chacune des îles et d’une île à l’autre. Les noyaux de peuplement sont souvent littoraux, privilégiant les points d’eau (sources ou rares cours d’eau pérennes) et les possibilités de pénétration dans l’intérieur des terres par les vallées. La structuration du territoire à l’échelle des îles ou de l’archipel s’est faite progressivement par la hiérarchisation des noyaux de peuplement. Le réseau urbain est calqué sur la qualité des sites portuaires et sur la taille des îles. Trois villes émergent : Angra do Heroísmo sur l’île Terceira, Ponta Delgada sur l’île de São Miguel, Horta sur l’île de Faial. En dehors des villes, les zones d’habitat sont linéaires, parallèles au littoral. La physionomie de celui-ci (rocheux, présence de falaises) fait que l’on retrouve ces lignes d’habitation souvent en hauteur, en position de balcon.

8L’archipel est organisé en trois groupes insulaires, avec des relations de dépendance entre îles, en lien avec l’histoire de l’archipel ou la taille des territoires. São Miguel est la grande île de l’archipel. Elle forme avec Santa Maria le groupe oriental. Le groupe central est composé de cinq îles. Terceira est l’ancienne île capitale de l’archipel. Elle doit compter avec Pico (la deuxième île par la taille) et surtout Faial et sa petite capitale dynamique Horta. Graciosa, dans la dépendance de Terceira, et São Jorge (un peu isolé au cœur du groupe) complètent cet ensemble homogène. Les distances entre ces îles varient de 6 à 60 kilomètres permettant une certaine proximité. Flores et Corvo forment le groupe occidental. Ce sont des îles de petite taille, faiblement peuplées. Celles-ci sont dans une situation clairement périphérique.

9Dans le cas des Açores et pour de nombreuses autres îles, l’espace maritime est historiquement celui d’où arrive l’autre. Le fait d’être visible ou non de la mer est donc fonction de la charge positive ou non que l’on donne à ce vecteur. Être vu depuis la mer, c’est se signaler au bateau qui passe. Rares aux Açores sont les villages ou les villes qui ne sont pas vus de la mer en particulier parmi les noyaux initiaux de peuplement. On sait que le village de Flamengos sur l’île de Faial a servi de point de repli pour certains habitants d’Horta au XVIe et XVIIe siècle lorsque le port principal de l’île était visité par les pirates. Flamengos, trois kilomètres à l’intérieur des terres est l’une des rares freguesia (la plus petite unité administrative au Portugal) de l’archipel dont le centre n’est pas visible depuis l’océan.

Une méthode de mesure de la co-visibilité

Données

10Les algorithmes de covisibilité sont implémentés dans de nombreux systèmes d’information géographique et sont utilisés pour plusieurs types d’applications, comme l’implantation de tours de guets pour les incendies, la simulation de paysages (Winterbottom & Long, 2006) ou l’optimisation de placement de relais de communication (De Floriani et al., 1994). Il existe de nombreuses variantes d’algorithmes de covisibilité. Une présentation exhaustive en est faite dans (Kim et al., 2004). Le calcul est effectué à partir d’un point ou d’une série de points de vue, situé sur un modèle numérique de terrain (MNT). Un MNT est une description numérique de la forme et de la position de la surface du sol couvrant l’ensemble de l’archipel des Açores. Ce MNT présente une résolution spatiale de 20 mètres. Cette résolution correspond à un compromis entre la rapidité de calcul estimée et la précision espérée pour une analyse de covisibilité à moyenne échelle (entre le 1/25e et le 1/150000e). Ce MNT très précis est construit à partir de courbes de niveaux qui ont été numérisées sur un ensemble de cartes sur support papier au 25ième puis dérivé en format raster à l’aide de différentes méthodes d’interpolation. Les méthodes les plus utilisées sont décrites dans (Rousseaux, 2004). La numérisation de courbes de niveaux est un processus classique d’acquisition de données altimétriques pour la construction d’un MNT (Aumann et al., 1990) que l’on retrouve dans différents instituts cartographiques nationaux. Contrairement au MNE (modèle numérique d’élévation), le MNT ne décrit pas les objets qui occupent cette surface (cours d’eau, routes, végétation, bâtiments). Pour l’étude, ces données (cartes d’occupation des sols) n’ont pas été intégrées. En effet, l’occupation du sol qui domine aux Açores est constituée de zones de pâturages ou de champs. Le MNT décrit ici une surface topographique nue sous la forme d’une surface paramétrée :

z = H(x, y)
Avec (x,y) Є[x
min ,ymin ]X [xmax ,ymax ]

11Le MNT raster est une représentation du relief par une matrice de pas réguliers dont chaque élément porte une altitude (z) aux nœuds (m) de coordonnées (x,y) d’une grille régulière. La grille est définie par un pas. Celui-ci correspond à la distance, selon x ou y dans l’unité de mesure du MNT, entre deux nœuds (m) consécutifs. Ces valeurs ont été obtenues à l’aide d’une méthode d’interpolation utilisant comme données sources un nuage de points. Ces points sont extraits des sommets des courbes de niveau numérisées. La méthode d’interpolation utilisée pour la construction du MNT est la méthode IDW (Inverse Distance Weight). Pour plus d’information sur cette méthode, le lecteur se reportera à l’ouvrage d’Arnaud et Emery (Arnaud et Emery, 2000)

12Le résultat des calculs de covisibilité est donné sous forme de grille dérivée de ce MNT, montrant quels pixels sont visibles du ou des points de vue. S’il y a plusieurs points de vue, le pixel prend la valeur du nombre de points de vue qui le voient. L’algorithme est fondé sur le principe d’une différence de hauteur entre le point de vue et les pixels cibles qui sont compris à l’intérieur de différents angles de visée (angle vertical et azimutal). La détermination de chaque pixel vu est effectuée à partir du pixel « point de vue » à l’aide de lignes de vue. Une ligne de vue correspond à un tracé entre deux points montrant les zones de la surface qui sont visibles ou non le long de celle-ci. Plusieurs articles montrent que les différentes implémentations de cet algorithme dans différents systèmes d’information géographique peuvent être sources de variation dans les résultats obtenus (Cuo-Pin et al., 1998). Ceci est en partie lié aux différents paramètres qui sont ou non pris en compte dans le calcul de covisibilité. La plupart de ces paramètres sont décrits dans (Paris, 2004). L’algorithme utilisé dans cet article (ESRI, 2008) prend en compte la hauteur simulée de l’observateur, qui a été placée à 1,7 mètre afin de simuler une taille humaine. Un balayage à 360° a été choisi pour définir la portée de l’angle azimutal. Des angles de +90° et –90° à partir de la ligne de vue horizontale ont été définis pour les valeurs d’angles verticaux. L’algorithme propose aussi un facteur de correction lié à la rotondité de la terre. Il est à noter que pour cette étude, ce facteur a un impact assez limité car les distances maximales de visibilité à l’intérieur des groupes insulaires étudiées sont relativement faibles (entre 6 et 60 kilomètres). Selon Paris (Paris, 2004), « La courbure de la Terre a un effet sur le calcul de visibilité quand la distance entre l’observateur et la cible est supérieure à 80 kilomètres ». Par ailleurs, il n’est pas effectué de calculs de covisibilité entre les trois groupes insulaires. De fait, une analyse globale à l’échelle des Açores est impossible car les distances sont trop importantes pour permettre une quelconque visibilité. Enfin, le calcul de visibilité est basé sur le principe de « vu passif » décrit dans Paris (Paris, 2004). Cela signifie que l’estimation de la surface vue est effectuée à partir de chaque point voyant, sans prise en compte de réciprocité (cas du principe de « vu actif »). Un calcul de visibilité entre deux îles sera effectué à partir de chaque île vers l’autre île. Il ne sera considéré à chaque fois que ce qui est vu par l’autre île.

13Dans le cadre de cette étude, l’objectif est de connaître le degré de covisibilité entre zones de population. La covisibilité est estimée de zone à zone et non d’un point de vue à une zone. Les calculs sont effectués à partir d’un ensemble très important de points, dont on cherche à optimiser le nombre. Ces points sont situés à l’intérieur d’une surface représentant une zone de population voyante. La population est ici dénombrée selon le découpage administratif des îles. Enfin, on a procédé à la numérisation, à partir de la carte papier, des limites des aires réelles de population sur chacune des îles en fonction des zones de bâti. Une des premières étapes est donc de reporter les données de population par commune sur ces aires construites en fonction de leur surface.

14Les calculs de covisibilité nécessitent des temps de calculs souvent importants. Nous avons une méthode cherchant à réduire ces temps de traitements par l’optimisation du nombre de points de vue nécessaires à notre analyse.

Méthode d’analyse

Optimisation du nombre de points de covisibilité

15De nombreux auteurs ont montré que les mesures de covisibilité étaient extrêmement lourdes en temps de calcul (Fisher, 1993). En effet, celui-ci est directement corrélé au nombre de points de vue et au pas de la grille de résultat de l’analyse de visibilité. Il existe plusieurs méthodes d’optimisation de calculs de covisibilité (Wang et al., 1996), mais les temps d’analyse restent encore très longs. Seule une baisse importante du nombre de points de vue montre une baisse très significative du temps de calculs. C’est pourquoi, le premier objectif méthodologique est de minimiser le nombre de points de vue tout en vérifiant que des résultats à peu près similaires à un calcul comportant un grand nombre de points de vue sont obtenus. Pour cela, la variation des différents résultats des analyses de covisibilité est observée en fonction du nombre de points de vue.

16Afin de tester la sensibilité des résultats au nombre de points de vue placés à l’intérieur des zones de population, deux grilles sont calculées sur la zone 2 (représentant 42 573258 pixels) : une grille à partir de points de vue placés tous les 250 mètres (984 points) et une grille à partir de points de vue placés tous les 500 mètres (335 points). Chacune de ces grilles est calculée sur le même modèle numérique de terrain à une résolution spatiale de 20 mètres. Les points sont placés de manière régulière dans les zones d’habitation. Les calculs prennent jusqu’à 20 heures pour la grille de points de vue à 250 mètres et environ 4 heures pour celle au pas de 500 mètres (figure 2). Chaque grille est ensuite comparée à partir du nombre absolu de pixels vus par rapport au pourcentage de points de vue (figure 3). Les points de vue sont rapportés en pourcentage. Cette normalisation est nécessaire puisque le nombre de points de vue utilisé est différent selon les grilles calculées. On cherche ici à savoir où se situent les zones les plus vues et les moins vues. Sont-elles différentes en fonction du nombre de points de vue et en fonction de leur placement ?

Figure 2. Analyse de visibilité de la zone 2 à partir de points de vue placés tous les 500 mètres.

17Les résultats des calculs avec un point de visibilité placé tous les 500 mètres sur l’ensemble d’une zone (335 points de vue sur la zone) (figure 3, série bleue) montrent, en valeurs relatives, pour chaque pixel, si celui-ci est visible, et à quel degré. Dans ce premier exemple, aucun pixel de la zone n’est vu par les 335 points. Les pixels les plus vus (il y en a huit sur le MNT) sont vus par 114 points. Ils sont tous situés dans la zone du sommet de l’île de Pico qui cumule l’avantage de la hauteur la plus importante de la zone et de l’orientation du versant la plus vaste, tournée à 360° vers toutes les autres îles de l’archipel. Ce calcul met en valeur les zones très vues de l’archipel et les zones plus cachées, le plus souvent placées au niveau des côtes extérieures, dans des rades naturelles. L’autre calcul est effectué sur le même MNT avec un point de visibilité placé tous les 250 mètres, à l’intérieur des zones de population. Ce calcul montre très sensiblement les mêmes résultats (figure 3, série rouge).

18Ce moyen permet de montrer que l’analyse est très faiblement sensible au pas de position des points de vue. Entre un pas de 250 mètres et un pas de 500 mètres, le nombre absolu de pixels vus sur le modèle numérique de terrain par rapport à la répartition du pourcentage de points de vue suit une courbe très similaire. L’analyse montre qu’un pourcentage important de points de vue voit peu de pixels du MNT et que peu de points de vue voient un grand nombre de pixels du MNT. Par ailleurs, ces zones restent sensiblement réparties spatialement de la même manière. On peut donc estimer qu’entre les valeurs de pas de 250 mètres et 500 mètres, la sensibilité du nombre de points de vue au calcul de visibilité est très faible et suit globalement la même tendance.

Figure 3. Nombre de pixels vus en % du nombre de points de vue (échelle logarithmique).

19Comparons maintenant ces résultats à une analyse proposant le placement de très peu de points de vue, mais idéalement situés sur les points hauts du relief.

20L’objectif est ici de chercher à optimiser le placement des points de vue afin d’en avoir le moins possible, tout en se rapprochant des résultats précédents. Pour cela, il est nécessaire d’estimer la meilleure position des points de vue situés à l’intérieur des aires de population en évitant de quadriller l’ensemble des zones à différents pas. Pour cela, les points sont automatiquement placés sur les endroits hauts du relief dans les zones de population (figure 4). Un algorithme de détection de points hauts implémenté par Jo Wood dans le logiciel libre LandSerf (Wood, 1999) est utilisé pour cette manipulation (269 points sont placés). Cet algorithme d’analyse morphométrique est basé sur la recherche de points hauts à l’aide d’un filtre à fenêtre fixe. Il utilise des critères de concavité et de convexité, et des différences de hauteurs entre pixels à l’intérieur d’une zone. Différentes méthodes de recherche de points hauts existent. Elles sont décrites dans (Sathyamoorthy, 2007) et dans (Mark, 1975).

Figure 4. Analyse de visibilité de la zone 2 à partir de points de vue optimisés dans les zones de population.

21Les calculs de covisibilité sont effectués à partir d’un ensemble de points de vue appartenant aux zones de population et placés de manière optimale, c’est-à-dire sur plusieurs points hauts disséminés dans des endroits dégagés de ces zones. Si l’on compare ces résultats (figure 3, série verte) aux résultats précédents, l’analyse montre que la tendance générale est très similaire aux résultats des grilles précédentes, avec un temps de calcul bien plus rapide puisque d’un peu moins de 2,5 heures. Une petite matrice de corrélation (tableau 1) montre que les trois séries de données (250, 500, placement optimisé) suivent la même tendance :

Tableau 1. Coefficients de corrélation entre séries.

22Cet exemple est bien sûr très lié aux données de l’étude et à nos besoins et n’est en aucun cas une proposition de méthode générique d’optimisation de temps de calculs de covisibilité. Il est simplement montré ici que le placement et le nombre de nos points de vue n’ont qu’une très faible sensibilité sur les résultats utilisés par la suite dans notre étude. Toutefois, lorsque c’est possible, affiner le nombre des points de vue reste la solution la plus efficace pour accélérer significativement les calculs de covisibilité.

Analyse des relations entre zones de population et visibilité

23Les données obtenues par numérisation permettent de connaître la population par commune et les contours des zones d’habitation. Cette partie s’attache dans un premier temps à déterminer ce qu’est une zone de visibilité et dans un second temps à analyser la part de population visible à l’intérieur de cette zone.

Définition des zones de visibilité

24Le panorama est ici défini comme la vue en largeur d’un paysage (figure 5). Il offre à l’observateur des zones visibles et des zones non visibles, que l’on devine, masquées par exemple dans des vallées ou derrière des montagnes. Le panorama définit un espace vertical, une fenêtre, qui matérialise ce qui est visible ou caché d’un point de vue. C’est le « paysage visible » de (Brossard & Wieber, 1984).

Figure 5. Panorama de Corvo. (Panoramio, ID: 437746, 2008).

25Le panorama a pour limite la ligne d’horizon, souvent matérialisée sur l’archipel des Açores par une ligne de crête (figure 6). Le panorama est utilisé dans cette étude comme la projection horizontale de cette vue verticale. Cette surface projetée est matérialisée par un cône de visibilité. Le cône de visibilité est différent des zones visibles. Ces dernières sont matérialisées par l’ensemble des zones ayant un résultat positif au calcul de visibilité. Elles appartiennent bien sûr au cône de visibilité.

Figure 6. Panorama numérique de Corvo, ligne d’horizon, en rouge.

26Le cône de visibilité permet de déterminer ce qu’il est possible de voir théoriquement d’un endroit. Si l’endroit est sans aucun relief, alors l’ensemble de l’espace compris à l’intérieur du cône de visibilité est visible. Si, plus sûrement, l’endroit est composé de reliefs, alors certaines parties seront cachées à la vue, d’autres directement visibles. C’est ce qui définit dans cette étude, la zone visible. Celle-ci détermine ce que l’on voit d’un endroit. L’objectif est d’estimer la part des zones visibles et la part des zones non visibles à partir du point de vue choisi. Cela permettra de vérifier (et de quantifier) si des populations se trouvent installées prioritairement ou non dans le champ visuel (le cône de visibilité) d’autres populations, situées sur d’autres îles.

27La détermination de ces différentes zones renforce la cohérence de l’analyse de covisibilité : l’échelle d’analyse de covisibilité la plus pertinente pour cette étude n’est pas l’île entière, mais une partie de l’île : celle qui est vue de sa voisine. Connaître le rapport de la population vue sur l’ensemble de la population d’une île ne permet pas d’appréhender les relations qui pourraient exister entre deux côtes qui se font face. L’intérêt de l’analyse de covisibilité se situe à l’échelle locale, de rivage à rivage et non d’île à île. C’est pourquoi l’utilisation de la notion de panorama est primordiale. C’est cette notion qui permet au mieux de retranscrire ce qui est vu d’une côte par rapport à une autre. Ceci permet aussi d’étudier des logiques de covisibilité entre plusieurs zones d’une même île, par rapport à deux îles. Etudions l’exemple de Faial et Pico, sur son rivage ouest, et l’exemple de São Jorge et Pico, sur son rivage nord.

28Le panorama observé de la zone voyante est calculé par estimation du polygone convexe de toutes les zones visibles. C’est ce qui donne le cône de visibilité. Une estimation de la zone comprise dans le panorama est ainsi obtenue. Le rapport entre zones visibles et zones non visibles est calculé à partir du cône de visibilité.

29Cette méthode comporte deux limites :

  • La première limite concerne les zones maritimes qui ne sont pas prises en compte, puisque le calcul n’est effectué que sur le MNT terrestre et non sur l’ensemble de la zone. Ce n’est pas un problème majeur pour ce cas précis puisque seule la répartition des aires de population est estimée. Celles-ci se trouvent dans notre exemple, exclusivement situées sur la terre.

  • La seconde limite concerne les zones comprises après la ligne d’horizon. Cette ligne devrait correspondre à la limite lointaine du panorama, or le calcul du polygone convexe interpole de manière linéaire entre deux zones visibles, sans forcément correspondre à leurs limites physiques (ligne de crête par exemple). Il est difficile de corriger automatiquement ce biais, puisqu’il serait nécessaire de situer un seul point de vue et de calculer les droites convergentes vers ce point de vue pour ensuite définir précisément les limites couvertes par le panorama. Or, l’analyse est effectuée à partir d’une zone comprenant un ensemble de points placés à différentes positions. Les angles de vue de ces points sont alors obligatoirement divergents (puisqu’ils ne convergent pas sur un point de vue unique, mais plusieurs points de vues). Afin d’être au plus près de la réalité, nous avons supprimer manuellement l’ensemble des zones situées après la ligne d’horizon. Cette manipulation restitue finalement assez précisément la zone déterminée par notre panorama.

30Afin de calculer les rapports entre population vue et population non vue, on utilise un cône de visibilité permettant d’estimer la zone couverte par le panorama, est utilisé. Il est représenté en rose sur la figure 7. Cette zone détermine le panorama qui est vu de l’aire de population de Corvo. À l’intérieur de celui-ci, on distingue les zones visibles (en bleu) et les zones non visibles en rose, comprises à l’intérieur du cône de visibilité (zones maritimes exceptées). Les aires de population sont représentées en jaune. L’ensemble de la population comprise à l’intérieur du cône de visibilité correspond à 100 % de la population d’un site (la population n’est pas répartie de manière homogène sur la commune, mais est rapportée aux aires de population).

Figure 7. Cône de visibilité décrivant les limites du panorama vu de Corvo, les zones de visibilité et les zones de population vues.

Calcul de la part de population visible

31La population d’une aire d’habitation est calculée proportionnellement à l’aire Ah qu’elle occupe dans la commune :

(pop_aire) = Pop_commune/(∑Ah)*Ah.

32À partir du modèle numérique de terrain et de l’ensemble des points de vue sélectionnés dans une aire de population donnée, on calcule une grille de covisibilité qui permet de connaître pour chaque pixel, par combien de points de vue il est visible. Pour une aire d’habitation qui comporte par exemple 10 points de vue, un pixel visible par 100 % de l’aire d’habitation aura la valeur maximale 10.

33Les zones de visibilité sont créées à partir de l’agrégation de l’ensemble des pixels visibles (qui prennent une valeur entière entre 1 et n). Cette couche est ensuite intersectée avec celles des aires d’habitation. De cette intersection résulte un ensemble de polygones qui représente l’ensemble des aires d’habitation vues (Ahv). La population par aire d’habitation est alors reportée à la surface de l’aire d’habitation vue. La population visible (pv) du point de vue est :

pv = (∑Ahv)*(∑pop_aire)/ (∑Ah)

Résultats : tendance à la covisibilité

34Les résultats permettent de connaître le nombre de personnes comprises à l’intérieur du panorama de chaque zone voyante et de les comparer avec le nombre de personnes visibles et le nombre de personnes non visibles (tableau 2). Les résultats sont aussi proposés sous forme de synthèse cartographique (figure 8).

Tableau 2. Tableau récapitulatif des résultats obtenus.

Corvo & Flores

35Les résultats concernant les relations de covisibilité entre Flores et Corvo sont conformes à l’unicité de la plus petite des îles de l’archipel (17 km2). La population totale de Corvo est de 425 habitants au recensement de 2001. L’ensemble de la population de l’île est visible depuis l’île de Flores voisine (tableau 2). Corvo, c’est une unique freguesia et un seul village. Il est installé à l’extrémité sud de l’île, dans la zone basse et quasi plate de ce cône volcanique. C’est là où se trouvent depuis toujours les quais de débarquements et où arrivent les bateaux qui s’évertuent à assurer la liaison quotidienne entre Corvo et Flores. Il n’y a aucune habitation en dehors du village. Les seuls bâtiments dans la montagne sont de petits appentis ou refuges pour l’exploitation laitière.

36La « dépendance visuelle » des habitants de Corvo envers ceux de Flores n’implique pas de réciprocité. La population totale de l’île de Flores est de 3995 habitants. La population de Flores comprise dans le panorama de Corvo couvre 2493 habitants, soit 62,4 % de la population de l’île. 2138 habitants de Flores sont vus de Corvo, ce qui représente 53,52 % de la population totale de l’île de Flores et 85,76 % de la population comprise dans le panorama de Corvo. Il y a bien un « sens » privilégié à la covisibilité et dans le cas présent, le sens semble dépendre de la taille de l’île, la petite, Corvo envers Flores, la grande.

Faial & Pico

37La population totale de l’île de Faial est de 15063 habitants en 2001. La population de Faial comprise dans le panorama de Pico couvre 13263 habitants, soit 88,05 % de la population totale de l’île de Faial. 12225 habitants de Faial sont vus de Pico, ce qui représente 81,12 % de la population totale de l’île de Faial et 92,17 % de la population de Faial comprise dans le panorama de Pico. Ces chiffres sont l’illustration de la proximité géographique des îles du groupe central : six kilomètres seulement séparent les deux îles. Le système de pente orientée de Faial laisse peu d’espace en dehors de la contrainte visuelle que représente Pico. C’est la freguesia de Flamengos, en arrière d’Horta qui explique la différence entre les 81 et les 92 %.

38La population totale de l’Ile de Pico est de 14806 habitants au recensement de 2001. Comme le montre le tableau 2, la population de Pico comprise dans le panorama de Faial couvre 8102 habitants, soit 54,72 % de la population totale de l’île. 6017 habitants de Pico sont vus de Faial, ce qui représente 74,27 % de la population comprise dans le panorama de Faial. Les données reflètent l’organisation en trois versants de l’île et le rôle des trois villes de Lajes, São Roque et Madalena.

Pico & São Jorge

39À la différence des couples Corvo/Flores et Faial/Pico, les deux îles de São Jorge et de Pico semblent se regarder paisiblement, sur un pied d’égalité. Les chiffres des résultats de l’analyse de covisibilité reflètent avant tout les formes des versants et la morphologie insulaire. São Jorge offre une dissymétrie de versants particulièrement marquée. Souvent comparée à un vaisseau fendant la mer, l’île au cœur du groupe central, propose de part et d’autre d’une échine montagneuse centrale, deux paysages distincts. Au nord, regardant au loin Graciosa et Terceira, l’île tombe dans la mer par des falaises abruptes, aux pieds desquelles s’étalent quelques rares éboulis de bas de pente. L’essentiel de la population de l’île est installé sur le versant sud, celui qui regarde Pico. Sur les 9674 habitants de São Jorge au recensement de 2001, 8146 personnes sont comprises dans le panorama de Pico, soit 84,2% de l’île. 8128 habitants de São Jorge sont vus de Pico, ce qui représente 84,01 % de la population totale de l’île et 99,41 % de la population de São Jorge comprise dans le panorama de Pico.

Figure 8. Synthèse cartographique des résultats.

Discussion : covisibilité et relations de proximité

40Les calculs de covisibilité rendus possible par le MNT corroborent la perception que l’on a de la « proximité » des îles et de la connaissance assez complète de l’histoire du peuplement des Açores. Il est alors possible de relire les trois couples insulaires à l’aune de ce regard :

Corvo : un « miracle » de la covisibilité

41La covisibilité intégrale de l’île est le fruit de l’histoire et du peuplement. Corvo procède de Flores et l’installation du village est une réponse à ce que nous avons appelé le sur-isolement (vis-à-vis du reste de l’archipel et vis-à-vis de Flores). C’est par la proximité relative de Flores qu’il est possible de s’accrocher sur une terre qui sans être ingrate n’est pas facile à mettre en valeur. Durant plus de quatre siècles, c’est l’autarcie qui a prévalu, les conditions de mer et le mauvais temps ne permettant pas l’assurance d’une liaison régulière. « Les portes des maisons ne sont pas fermées à Corvo » dit le dicton. Le système de mise en valeur est en partie communautaire. Le village, sans muraille, est comme fermé sur lui-même par le dessin des rues qui semble faire le gros dos pour lutter contre le vent et les intempéries. Depuis le début des années 1990, la construction de la piste d’aéroport a transformé le fonctionnement de l’île. On peut venir et repartir de Corvo sans trop d’encombre. L’île bénéficie à plein de la solidarité archipélagique, nationale et européenne.

Le regard « protecteur » de Faial sur Pico

42Faial, et plus encore sa capitale Horta, semble surveiller Pico. Les deux îles forment le couple insulaire le plus indéfectible de l’évolution des Açores car lié par l’histoire du peuplement. Pico fascine. Depuis Horta, l’œil toujours revient sur ce volcan majestueux. Son capuchon neigeux hivernal est un défi à la douceur supposée de ces îles atlantiques. Il y a dans le regard de Faial sur Pico une bonne dose d’esthétique mais aussi le regard du « propriétaire » sur son « bien ». À l’époque des Capitaines-donataires, les « entrepreneurs du peuplement » du XVIe siècle, le lien des deux îles est déjà fixé. Pico se trouve dans la sujétion de Faial. De Frutuoso à Nemésio, de la chronique au roman, nombreux sont ceux qui ont écrit sur le lien entre les deux îles, sur le rôle des propriétaires absentéistes et de l’exploitation de l’une par l’autre. C’est Horta qui met en valeur les richesses agricoles de Pico (foncier, commerce). Cette forte dépendance a longtemps reposé sur l’inégale accessibilité des deux îles, le port d’Horta accaparant par la qualité de son site l’ensemble des échanges. L’ouverture dans les années 1990 d’un aéroport à Pico permet à l’île de ressentir une certaine sensation d’autonomie.

Pico et São Jorge : quand la mer devient « l’intérieur » de l’île ?

43Le « canal » qui sépare Pico de São Jorge est un bras de mer particulier de la mer des Açores. L’orientation quasi similaire des deux îles en fait une sorte d’avenue de mer entre les terres ; une avenue aux caractéristiques bien particulières. Naviguer de jour sur ce canal donne l’impression de se faufiler entre deux terres fraternelles, un même vert de part et d’autre, des versants raides d’un côté comme de l’autre. Seule l’élévation vigoureuse du Pico casse un peu le parallélisme. La même navigation de nuit offre un tout autre regard car l’œil est fasciné par les deux lignes parallèles de lumière qui ornent tant la rive sud de São Jorge que la rive nord de Pico. Ces lumières, celles des maisons et des routes, sont comme deux guirlandes posées sur les rives d’une même île où la mer représenterait l’intérieur d’une île déserte, où toute la vie serait concentrée sur le littoral.

Les « Îles du Triangle »

  • 4 En français Mau tempo no Canal (Mauvais temps sur le Canal) est devenu Gros temps sur l’archipel, l (...)

44Dans le groupe central, ces questions de covisibilité intéressent potentiellement toutes les îles. De Graciosa, l’une des plus petites îles de l’archipel, les quatre autres îles sont visibles, enlevant un peu de solitude à cette île un peu oubliée. Des quartiers hauts de Angra do Heroísmo, la vue sur São Jorge (et Pico dans l’enfilade) est superbe mais c’est bien entre Faial, Pico et São Jorge que la fraternité de rivages est la plus évidente. Depuis le milieu des années 1990, les municipalités d’Horta (Faial), Madalena (Pico) et Velas (São Jorge) ont cherché à se rapprocher. Elles ont entraîné derrière elles les trois îles qui se sont regroupées sous l’appellation des « Îles du Triangle ». Le rapprochement initial reposait sur la question des liaisons maritimes entre les trois villes à renforcer. C’est bien autour de ces bras de mer séparant les îles, ce que l’on appelle ici un Canal (comme dans le titre du roman de Nemésio : Mau tempo no Canal4), que se dessinent les territoires de projet, les territoires du futur.

45Au-delà des souvenirs partagés de l’époque de « l’économie de la baleine » où les équipages des différentes îles se retrouvaient parfois côte à côte, les trois îles partagent un certain nombre de points communs comme la question de la desserte, celle de la relation avec l’île Terceira, la puissante voisine ou encore le souhait du développement de l’activité touristique. Ces îles qui se regardent ont aussi compris que dans le contexte archipélagique qui prévaut depuis l’autonomie régionale, l’heure (et les subventions) n’est plus aux rivalités insulaires mais à une certaine entente. Faial et sa capitale Horta font figure d’éléments moteurs pour Pico et São Jorge, îles de faible densité de population et où le nombre d’habitants ne cessent de décroître. Se voir c’est déjà aussi rendre possible et fertile le dialogue.

Conclusion : Se voir, être vu, vivre ensemble

46Les îles des groupes central et occidental de l’archipel des Açores semblent avoir une propension indéniable à voir leur population se mirer l’une dans l’autre. Les résultats des calculs de covisibilité confortent l’hypothèse de départ. Ils ne font en même temps que répondre à la géographie insulaire. Les îles sont proches. Elles se font face, il est normal que les populations se retrouvent en vis-à-vis. Pourtant, les études de cas menées aux Açores apportent quelques informations importantes :

  • La covisibilité ne semble pas devoir être une caractéristique réciproque même si ce sont les mêmes populations qui sont en cause. Il apparaît bien qu’il y a un « sens du regard ». C’est bien Corvo qui regarde Flores, ou Horta qui semble aimantée par Pico.

  • Le principe de covisibilité est corrélé à la distance entre les deux objets se regardant. Il s’amenuise avec la distance et la limite dépend de l’avantage qui peut être tiré de cette covisibilité. Dans les cas de sur-isolement, l’important, c’est de voir. On peut sans mal imaginer que même situés à 60 kilomètres de Flores, les habitants de Corvo continueraient à chercher du regard les montagnes de Flores. Dans le cas où la covisibilité repose sur une possibilité d’entraide ou sur un principe de surveillance, il y a une distance bien réelle au delà de laquelle les effets s’amenuisent. La limite dépend alors des moyens techniques à disposition pour vaincre le temps et la distance. La côte nord de São Jorge est tournée vers Terceira et Graciosa, mais cette présence n’a aucune incidence sur le peuplement. La distance est trop importante et les autres facteurs entrant en ligne de compte dans la logique de peuplement sont bien plus importants.

47La covisibilité n’est sans doute que très rarement un facteur prépondérant pour expliquer un peuplement mais elle semble bien devoir entrer de temps en temps en ligne de compte. Réfléchir sur le rôle possible de la covisibilité dans l’histoire du peuplement insulaire nous renvoie à des interrogations sur l’installation de ce peuplement et la prise de contrôle d’un territoire. Être vu, être en vue n’est pas anodin. Cela rassure. Proximité rime avec sécurité car elle la rend plausible, sinon possible. Dans le cas de l’archipel des Açores, on reste saisi par la propension à la linéarité du peuplement. Celui-ci suit le littoral, le plus souvent à une certaine distance. Les lignes de source n’expliquent pas tout, ni la qualité des sols, ni la dévolution foncière initiale. On s’implante le long de la route ou un champ plus loin. Les lignes de chemin rejoignent petit à petit les noyaux portuaires initiaux. Ce qui est parfois troublant c’est la timidité de la dispersion de l’habitat et le pourtant peu d’appétence pour la concentration, le noyau, la densité. On est proche, on n’est pas forcément avec. Voir l’autre semble important surtout lorsqu’il est loin, au-delà de l’eau, ailleurs, dans un lointain possible.

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Notes

1 « Já percebi que o que as ilhas têm de mais belo e as completa, é a ilha que está em frente – O Corvo as Flores, Faial o Pico, O Pico São Jorge, São Jorge a Terceira e a Graciosa… ».

2 Y. Lacoste insiste particulièrement sur l’importance de la visibilité pour la maîtrise militaire de l’espace et sur le lien entre voir et pouvoir.

3 « De la visibilité du Mont-Blanc au sommet du Puy de Dôme » par Jean de Lagaye (Aide-météorologiste à l’Observatoire du Puy de Dome) in C.R. du Congrès des Sociétés Savantes, 1931, pp. 203-208 et dans le même numéro « Sur la visibilité du Mont-Blanc au sommet du Puy de Dome » par M. E.-A. Martel (Président honoraire de la Société de Géographie), pp. 209-211. « La visibilité du Mont-Blanc au sommet du Puy de Dome » par M. Jean de Lagaye (Aide-physicien à l’Observatoire du Puy de Dome » in C.R. du Congrès des Sociétés Savantes, (section des Sciences), 1939, pp. 65-68. Nous devons ces références à C. Gauchon, maître de conférences en géographie à l’université de Savoie (Laboratoire Edytem).

4 En français Mau tempo no Canal (Mauvais temps sur le Canal) est devenu Gros temps sur l’archipel, le terme d’archipel étant plus évocateur que le terme Canal. Il est intéressant de noter que les Portugais parlent des îles anglo-normandes (L’archipel de la Manche de V. Hugo) comme des îles du Canal en référence au Channel anglais.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Louis Marrou et Frédéric Rousseaux, « Covisibilité et peuplement aux Açores. Estimation de l’importance du facteur de covisibilité dans la répartition des populations aux Açores », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 473, mis en ligne le 13 octobre 2009, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/22725 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.22725

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Auteurs

Louis Marrou

Université de La Rochelle, UMR CNRS 6250 LIENSs : Littoral, Environnement, Sociétés, Institut du Littoral et de l’Environnement, 2 rue Olympe de Gouge, 17000 La Rochelle, France
louis.marrou@univ-lr.fr

Frédéric Rousseaux

Université de La Rochelle, UMR CNRS 6250 LIENSs : Littoral, Environnement, Sociétés, Institut du Littoral et de l’Environnement, 2 rue Olympe de Gouge, 17000 La Rochelle, France
frederic.rousseaux@univ-lr.fr

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