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2005
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Les politiques de gestion insulaire dans l’archipel des Maldives

Politics of insular development in the Maldives archipelago
Caroline Rufin-Soler

Résumés

L’archipel des Maldives est un terrain d’observation privilégié pour l’analyse d’un développement étatique contraignant du fait de son insularité. Les politiques de développement insulaire sont nombreuses, indépendantes et souvent contrôlées par la mise en tourisme de l’archipel. On propose ici une analyse multiscalaire du développement insulaire, contrôlé par cette activité, qui structure l’espace.

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Texte intégral

  • 1 Les îles sont des étendues de terre ferme émergées de manière durable dans les eaux d’un océan, d’u (...)
  • 2 Ensemble récifal de haute mer, émergé à marée haute, sans roche volcanique affleurante, le plus sou (...)
  • 3 Ensemble de récifs annulaires constituant des ensembles d’ordre supérieur distribuant des atolls au (...)

1L’archipel des Maldives s’étire entre les latitudes 7° 06’ N et 0° 42’ S, le long du méridien 73° E, respectivement de l’atoll d’Ihavandhippolhu à celui d’Addu et est composé de 26 édifices récifaux, différents des divisions administratives qui sont au nombre de vingt (figure 1). La partie centrale de l’archipel, comprise entre 5° 30’ N et 2° 30’ N, consiste en une double chaîne d’atolls ceinturant une mer intérieure, « the Maldive inner sea ». La particularité de cet archipel de l’océan Indien est qu’il réunit une multitude d’îles1 coralliennes accumulées sur le sommet de récifs coralliens qui sont distribués ponctuellement ou organisés en atolls2 dans des ensembles plus importants que l’on appelle des falhu3. Aux Maldives, la taille des atolls, comme la taille des îles, est extrêmement variable et leur nombre est fluctuant. En effet, est considérée comme île, toute accumulation sédimentaire, même éphémère, végétalisée ou non : aussi les Maldives compteraient-elles 1 190 îles ou îlots (Ministry of Planning and National Development, 1999), mais le chiffre peut osciller entre 1 050, 1 098 (Rufin-Soler C., 2004) et 2 000. Ce nombre extrêmement fluctuant peut être attribué aux caractéristiques de la formation des îles sous ces latitudes ainsi qu’à la définition de ces dernières.

  • 4 les chiffres oscillent suivant les ouvrages entre 74 000 et 77 000.

2D’après les mesures faites à partir des imageries satellitaires (Naseer A. et Hatcher B.G., 2004), l’archipel totalise 227,45 km² avec une zone économique exclusive de 90 000 km². Il abrite 321 844 habitants (Rufin-Soler C., 2004) dont plus de 75 000 vivent à Malé4, l’île-capitale. Les îles maldiviennes ont des tailles variées, allant d’un minimum de 0,031 km² à un maximum de 5,17 km² avec une surface de 1,92 km² pour Malé (Rufin-Soler C., 2004).

3Il s’agit d’un micro-Etat insulaire indépendant depuis 1965, devenue République Islamique, qui répond aux caractéristiques définies par F. Doumenge (1985) : exiguïté de son territoire, large zone économique exclusive, ressources naturelles limitées, vulnérabilité face aux événements climatiques, relatif isolement de son territoire, grande dépendance économique vis-à-vis des marchés étrangers, capitale surpeuplée avec une croissance démographique forte, peu d’infrastructure de développement, et peu ou pas de ressources économiques ou humaines pour leur permettre de s’adapter aux changements.

4Pour ces small Islands States, l’océan exerce une grande influence en structurant les domaines naturels et en conditionnant l’organisation socio-économique des territoires.

Différents types d’îles

  • 5 Echange de courrier électronique avec le ministère du Plan et du Développement National

5On considère, d’après l’organisation spatiale du pays, trois types d’îles : les îles habitées par la population locale, les îles habitées par la population touristique et les îles inhabitées. On recensait au début de l’année 2004, 201 îles autochtones, 87 îles touristiques et entre 800 et 900 îles inhabitées. Ces données ont évolué depuis le tsunami du 26 décembre 2004 puisque d’après des sources officielles5, 19 îles touristiques ont été fortement touchées, 14 autres ont été endommagées, des accumulations sédimentaires ont totalement disparu et entre 12 000 et 15 000 maldiviens sont devenus des migrants environnementaux. Certaines îles septentrionales, autrefois habitées, ont été abandonnées tandis que d’autres se retrouvent surpeuplées. Ainsi, les 4 000 habitants de l’île de Kandholhudhoo (atoll de Maalhosmadulu nord) ont migré vers six autres îles de l’atoll alors que les 1 600 habitants de l’île de Kolhuvaariyaafushi (atoll de Mulaku) dorment dans leurs bateaux de pêche.

6En théorie, les terres insulaires sont propriété de l’Etat mais peuvent être, suivant leurs caractéristiques, administrées différemment. Ainsi, le ministère de l’Administration des Atolls gère l’ensemble des îles habitées et intervient lorsque « la dégradation des atolls incombe aux activités anthropiques », alors que celui des Affaires Provinciales réglemente les baux de l’Etat. Seules, les îles habitées de Malé, Vilingili et Hulhumalé sont sous l’autorité du ministère des Affaires Intérieures, du Logement et de l’Environnement. Le ministère des Pêches, de l’Agriculture et des Ressources Marines (MFAMR) s’occupe « des îles inhabitées, des bancs de sable, émergés ou immergés, et des récifs », il peut les donner en gestion auprès de personnes privées soit pour une période de dix ans soit sur plusieurs générations pour une même famille. Le bail est payant et il est calculé au prorata du nombre de cocotiers existant sur l’île, chaque cocotier rapportant à l’Etat 0,0792 €. Dans le cas des îles touristiques, le ministère du Tourisme intervient en dernière instance lorsque le MFAMR lui a accordé la gestion d’une île. Bien que, généralement, le développement touristique d’un resort se fasse à partir d’une île inhabitée, il y a eu quelques exceptions comme les îles de Giraavaru, dans l’atoll de Malé nord, et Kuramathi dans l’atoll d’Ari, qui étaient, elles, habitées. Dans ce cas, c’est le Ministère des Affaires Provinciales qui est compétent pour accorder un bail et gérer l’évolution de l’île avec le ministère du Tourisme.

Spécificité maldivienne : une monofonctionnalité insulaire

7Au voisinage de la capitale, l’organisation du territoire est particulière puisque chaque île a une fonction et une seule. Il ne s’agit pas d’une mesure compensatoire vis-à-vis de la capitale surpeuplée, qui a encouragé cette spécialisation, mais d’une organisation assez ancienne. Dans son ouvrage F. Pyrard de Laval (1998) décrit la spécificité de certaines îles et laisse transparaître un fonctionnement particulier du territoire dès le début du XVIIe siècle. Depuis, cette spécificité s’est amplement confirmée lorsque la capitale a dû redistribuer ses compétences et que l’Etat a souhaité développer le secteur touristique. Malé est alors considérée comme une « agglomération qui se répand sur plusieurs îles » (Gay J-C., 2000). On trouve autour d’elle, l’île-aéroport, l’île-stockage pétrolier, l’île-présidentielle, l’île-poubelle, l’île-prison, l’île-caserne, l’île-école, et plusieurs îles-hôtels (figure 2).

8L’île aéroport a été officiellement fonctionnalisée en 1968 lorsque les premières politiques d’aménagements ont vu le jour et que l’ouverture de l’aéroport, avec l’arrivée des premiers touristes, a été assurée en 1972. Depuis, pour permettre d’accueillir un nombre encore plus important de touristes, le schéma d’aménagement va être répété par la construction d’une nouvelle île artificielle. Elle devrait permettre d’abriter à terme un aéroport, une zone habitable dans la partie nord ainsi qu’une zone industrialo-portuaire. Cette île multifonction porte le nom d’Hulhumalé (figure 2).

9Cette particularité concerne également de nombreux atolls même si à l’échelle de l’archipel, cette monospécificité est moins affirmée (figure 4 - exemple Maroshi : île de pêcheurs, Finey : île agricole…).

Le développement touristique

10L’organisation du peuplement et le développement touristique sont au cœur des problématiques de gestion et d’aménagement du territoire.

Evolution diachronique du tourisme dans l’archipel maldivien

11La capacité de développement d'un État, quel qu'il soit, est liée aux ressources dont il dispose. Si ce micro-État insulaire tirait auparavant ses ressources de la mer par une activité de pêcherie, encore importante à l'heure actuelle, c'est désormais le tourisme qui constitue la première source de devises du pays. C’est par le développement touristique que le gouvernement finance le développement national (Cazes-Duvat V., 2001), et c’est par l’intermédiaire des différents plans touristiques que s’organise le développement insulaire et étatique de l’archipel des Maldives. Les limites de l’aire maldivienne de tourisme sont décidées par le gouvernement lors des différents plans étatiques qui assurent une planification de cette activité.

12Jusqu’en 1978, les premières structures touristiques sont nées de volontés individuelles et de capitaux majoritairement étrangers, injectés dans l’Etat grâce à une politique gouvernementale de libre circulation de capitaux. Ce n’est qu’à partir de cette année là que le gouvernement, avec l’avènement au pouvoir du président actuel, M.A. Gayoom, a pris conscience de l’énorme potentialité économique que représentait l’activité touristique (Domroes M., 1999).

13En 1979, la nouvelle équipe gouvernementale instaure une taxe de nuitées, toujours en place à l’heure actuelle, et libéralise les investissements du secteur, jusque-là contrôlés par la famille présidentielle.

  • 6 Hors-bord dépassant la vitesse de 30 noeuds

14Afin de dynamiser ce secteur et le rendre viable, il a fallu améliorer la desserte de l’archipel en créant l’aéroport international d’Hulhulé dès le début des années 1980. C’est réellement cet aménagement qui a permis le « décollage » économique de l’activité (Domroes M., 2001). Après les atolls de Malé (figure 3), ce fut au tour de l’atoll d’Ari d’accueillir les premières structures touristiques en 1982 : Fesdu Fun Island et Halaveli Holiday Village. Cet atoll fut très activement développé : le nord jusqu’à la fin des années 1980, puis le sud de 1990 à 1997. C’est à cette époque qu’est instauré pour une dizaine d’années le premier plan de développement touristique qui privilégie le développement des îles localisées à proximité de l’aéroport, à une heure maximum de bateau. Avec la mise en place de la « zone touristique », les distances s’accroissent mais on s’éloigne peu des atolls centraux de Malé et d’Ari (figure 4). Le temps de bateau s’allonge puisqu’il faut entre deux et quatre heures pour rejoindre son hôtel. L’implantation de nouvelles structures hôtelières, de plus en plus loin de l’aéroport d’Hulhulé, fut rendue possible par l’avènement de nouveaux moyens de transport comme le speedboat6 ou l’hydravion (Maldivian Air Taxi). Le coût de fonctionnement de ce dernier est si important que les investisseurs ont dû créer des structures hôtelières plus importantes, dès la fin des années 1990 et au début des années 2000. Il s’agit, par exemple, de Pearl Island Resort (atoll de Raa) avec 430 lits ou les 700 lits de Sun Island (atoll d’Alifu), localisés respectivement à 130 km et 100 km de l’aéroport.

15Le second plan touristique (1996-2005) est axé sur des règles conciliant développement économique et environnement et s’intègre parfaitement aux politiques gouvernementales établies lors du Sixième Plan de Développement (Ministry of Planning and National Development, 2002). Son objectif premier est de permettre d’accueillir, d’ici à la fin 2005, 650 000 touristes dans l’archipel, sur un espace touristique plus vaste que celui exploité jusqu’alors.

Principaux flux touristiques en 2003

Nombre de touristes

Continent Africain

3 984

Océanie

7 045

Amériques

7 665

Asie

101 806

Europe

443 093

Total

563 593

  • 7 Raa, Baa, Lhaviyani, Vaavu, Meemu, Faafu
  • 8 Entretien avec M. Mohamed Imad – Ministère du Plan et du Développement National

16Il s’agit de décentraliser les structures hôtelières, quel que soit leur type (resort, safari boat, croisière…) en dehors de la zone préalablement développée tout en améliorant les capacités d’accueil des précédentes structures. Ainsi, le pôle central (Malé et Ari) se verrait attribuer 2 500 lits supplémentaires, tandis que les atolls de la première couronne d’extension, c’est-à-dire à environ 150 km d’Hulhulé7, auraient leurs capacités quintuplées (figure 4). Ce plan va permettre à l’État de développer de nouveaux atolls, jusqu’à présent uniquement mis en valeur par la population locale. Il s’agit de Lhaviyani, Raa, Faafu, Meemu, Dhaalu (figure 1). Pour cela, il fait mention de la construction de trente nouveaux resorts (Commission of the European Communities, 1995) dans cette région centrale étendue. La volonté de développer un aéroport-relais dans l’île de Fainu, atoll de Raa, laisse facilement envisager dans l’avenir l’extension du tourisme dans les atolls du nord de l’archipel, comme ce qui est actuellement pratiqué pour l’archipel méridional. En effet, un des derniers objectifs du Plan Touristique est de mettre en place plus de 3 500 lits dans les atolls de Seenu et de Gaaf Dhaal. Un resort dans l’île de Vilingili, atoll de Seenu, a d’ailleurs ouvert ses portes à la fin de l’année 20048, favorisant une dynamique pour des implantations futures. Dans cette perspective, la construction d’un aéroport international dans l’île de Gan est nécessaire et assurerait le développement de l’activité touristique des atolls de Gaaf Dhaal, Gaaf Alif, Laamu. Pour le gouvernement, ce programme permettrait de créer de nombreux emplois locaux dans des atolls, victimes jusqu’à présent d’un exode insulaire important, tout en réduisant la part des expatriés dans ce secteur.

17Ce développement touristique rapporterait à l’Etat, d’après les estimations, plus de 525 millions $ US de recettes (Commission of the European Communities, 1995), ce qui permettrait également de réduire l’emprise de la bourgeoisie et des dirigeants politiques, localisés à Malé, qui ont assuré jusqu’à présent leur domination économique et politique sur l’ensemble du pays.

La diversification des produits touristiques

18La conception touristique maldivienne est avant tout liée à l’autonomie et l’indépendance de chacune des îles-hôtels, ce qui est facilité par l’importance des territoires insulaires.

19Le morcellement de l’espace touristique se fait non seulement suivant le concept «une île-un hôtel », mais également suivant le concept une île-une nationalité. Ainsi, s’individualisent l’île francophone (Rihiveli), l’île allemande (Kandooma), l’île italienne (Giraavaru), l’île japonaise (Vaadhoo), etc. Cette pratique concerne également les bateaux voués à l’activité touristique.

20Les îles coralliennes sont pour les touristes occidentaux des entités géographiques particulières leur apportant un dépaysement total et une impression d’isolement. Pour l’État maldivien, elles sont considérées comme de véritables produits touristiques. C’est la mise en place d'une nouvelle politique de développement insulaire et touristique qui y contribue.

  • 9 Système de liaison par hydravions

21Le gouvernement a permis, au cours des différents plans touristiques, la construction d'îles-hôtels de plus en plus éloignées de la capitale, dans la zone touristique définie préalablement. Les considérant ainsi comme des hauts lieux du tourisme accessibles9 par tous les étrangers, le but est désormais de diversifier ces produits et de rétablir une hiérarchie dans la fréquentation.

  • 10 Entretien avec M. Hunaif – Ministère du Plan

22Pour cela, le gouvernement souhaiterait développer l’ensemble de l'espace insulaire de l’archipel. Il s'agirait d’étendre la zone touristique actuelle à la totalité du territoire. Le gouvernement diversifierait ses produits par la mise en place d’un nouveau concept, « une île - une famille ». Il s’agirait de développer un tourisme de luxe basé sur des règles simples : faire vivre des personnes aisées comme des « Robinsons »10. Le gouvernement ne remettrait toutefois pas en cause le concept premier, qui a permis le succès que connaissent actuellement les Maldives, à savoir « une île - un hôtel ». Il serait tout simplement étendu à l’ensemble de l’archipel.

  • 11 « Sport tourism destination » - VI Plan de Développement National

23L'autre politique insulaire serait de développer des équipements plus spécialisés comme les ports de plaisance ou les marinas combinés à des structures hôtelières. Les îles, de par leur position géographique, pourraient ainsi aisément jouer des rôles d'étape pour cette nouvelle activité. C’est par cet intermédiaire que le tourisme de croisière pourrait se développer, l’archipel des Maldives devenant la nouvelle destination du tourisme sportif11.

24Il s’agirait donc d’étendre les frontières du territoire maritime et d’ouvrir les eaux maldiviennes au nautisme qui avait été pratiqué dans le milieu des années 1970. On tenterait donc de redévelopper un tourisme de passage en complément d'un tourisme de séjour. Le gouvernement a décidé de développer, pour ces activités, trois atolls : Haa Alif, Haa Dhaal et Shaviyani. Ces séjours seraient toutefois contrôlés afin d'éviter toute communication entre la population touristique et la population locale. Même si quelques îles sont déjà visitées lors des séjours touristiques dans les îles-hôtels, ce que l’on appelle « island hopping », une réglementation rigoureuse est appliquée. Que ce soit par exemple pour une île de pêcheurs ou l'île capitale, les touristes n’ont que peu de relations avec la population locale, sauf commerciales. Les touristes doivent, lors d’une visite insulaire journalière, quitter l’île avant la tombée de la nuit, à moins qu’ils soient accompagnés d’un guide autorisé ou qu’ils aient une autorisation.

25Il existe une véritable fracture de développement au sein de l'archipel maldivien, c’est ainsi que les îles-hôtels sont extrêmement bien gérées, que ce soit pour les flux touristiques, de marchandises ou de déchets, alors que les îles habitées sont moins bien organisées et souvent reléguées au second plan. L'approvisionnement des îles en marchandises en est le meilleur exemple. Si la liaison entre Malé et une île-hôtel est assurée une fois par jour, bien souvent par des hommes d’une île locale proche du  « resort », il peut y avoir une fréquence seulement d’une fois par semaine pour l’île locale.

26La restauration et la réhabilitation des sites endommagés par les vagues du tsunami modifiera certainement cet état de fait. L’intervention de différents ministères et/ou individus à des niveaux décisionnaires variés peut nous laisser douter de ce développement futur de l’archipel.

Vers une nouvelle gestion des territoires insulaires

27Un des objectifs principaux du dernier plan étatique de développement (Ministry of Planning and National Development, 2002), initié préalablement lors du projet de Développement Régional pour la période 2000-2002, est de mettre en place une politique transmigratoire dans l’archipel des Maldives. Il s’agit de limiter l’attraction de Malé, qui concentre plus du quart de la population totale, en redistribuant plus équitablement les compétences dans deux grandes régions de l’archipel, la région nord qui concentre les atolls de Haa Alif, Haa Dhaal et Shaviyani et la région sud avec les atolls de Gaaf Alif, Gaaf Dhaal, Gnaviyani et Seenu. Elles représentent respectivement 42 523 et 46 178 habitants, au dernier recensement de la population.

  • 12 Nord, Centre-Nord, Centre, Centre-Sud, Sud

28Si le projet actuel ne s’attache à développer que deux provinces, afin de limiter les problèmes financiers et d’organisation étatique, à terme le gouvernement souhaite organiser l’archipel suivant cinq provinces12 de développement.

29Il s’agit d’un rééquilibrage spatial de l’archipel avec un développement initial à partir de neuf îles dans les atolls septentrionaux et de quatre dans les atolls méridionaux pour arriver à terme à regrouper la population des 201 îles habitées sur seulement 80 d’entres elles. Les premiers mouvements de population ont débuté courant 2001 dans l’atoll de Haa Dhaal où les habitants des îles de Faridhoo (230 habitants) et de Hodaidhoo (169 habitants) ont été déplacés sur l’île de Hanimaadhoo (1 232 habitants) (figure 5). Ce mouvement de population est la réplique d’un projet initié en 1968, lui-même inspiré par des déplacements historiques institués dès le XVIIe siècle dont les causes ont pu être politiques et/ou naturelles notamment climatiques (figure 6). Il s’agissait alors de déplacer la population des îles peu anthropisées, théoriquement ayant une population inférieure à 50 habitants, sur des îles plus densément peuplées. A ce titre, les îles de Faridhoo (115 habitants) et d’Hodaidhoo (99 habitants), avaient vu leur population migrer sur l’île d’Hanimaadhoo respectivement en juillet 1971 et en octobre 1968. Ce projet avait été définitivement abandonné en 1975 après que les populations insulaires soient retournées dans leurs îles d’origine.

30A la différence du projet de 1968 qui utilisait des îles habitées, sur les 80 îles choisies pour le projet actuel, certaines ont été aménagées pour l’occasion comme l’île inhabitée de Milandhoo dans l’atoll de Shaviyani, d’autres ont été poldérisées comme l’île de Kulhudhuffushi dans l’atoll de Haa Dhaal et certaines vont être reliées entre elles par un remblai comme les îles de Muli et de Naalaafushi dans l’atoll de Meemu.

  • 13 Entretien avec M. Hunaif – Ministère du Plan

31Le regroupement des populations insulaires permettra de réduire non seulement les distances géographiques que doivent parcourir les populations mais également les dépenses publiques. Le coût pour maintenir ou assurer les services socio-économiques indispensables est quatre à cinq fois plus élevé que dans les pays développés ou dans d’autres pays insulaires (Ministry of Planning and National Development, 2002). Par le regroupement de la population, le gouvernement souhaite également exercer un contrôle de la croissance démographique par le biais de campagnes de contraception. Il s’agit de faire comprendre aux familles qu’un « nombre moindre d’enfants permettrait une meilleure éducation »13. Bien que depuis trois décennies des efforts aient été faits en ce sens, la difficulté de diffusion de l’information entre Malé et les autres îles, ainsi que la force du sentiment religieux condamnant les moyens de contraception, rendent difficile l’application des mesures envisagées.

32Ce projet n’est pas, d’après le gouvernement, autoritaire comme a pu l’être celui de 1968. Le choix de l’exode insulaire revient à la population maldivienne ; chaque habitant pourra choisir de quitter ou non son île, le gouvernement lui assurant le financement de sa nouvelle habitation à hauteur de 90 000 Rf. par foyer (environ 8071 euros).

33En relation avec le Premier Projet de Développement Régional, un programme de développement insulaire a été mis en place pour treize îles localisées dans les provinces nord et sud. Le développement économique du nord concerne les neuf îles de la frange orientale de l’atoll septentrional : Kumundhoo, Kulhudhuffushi, Nolhivaramu, Nolhivaranfaru, Hanimadhoo, Baarah, Filladhoo, Kelaa et Dhidhdhoo. Ainsi, ces neufs îles vont être reliées entre elles par un système de ferries, à travers des liaisons régulières, afin d’assurer rapidement l’acheminement des enfants vers les écoles mais également le transport vers l’hôpital régional.

34En liaison avec ces politiques de développement, le ministère des Transports souhaite implanter deux ports commerciaux dans les régions concernées. Ils permettraient de désengorger le trafic de la capitale et de donner une plus grande légitimité au choix étatique. Ainsi, l’importation des produits et des biens se ferait directement depuis le Sri Lanka vers ces deux ports, qui seront :

35 - pour la province nord, le port de l’île de Kulhudhuffushi ;

36 - pour la province sud, celui de l’île d’Hithaadhoo.

37Le financement sera assuré à 82% par la Banque Asiatique de Développement et à 18% par le gouvernement maldivien soutenu par la Banque Islamique de Développement.

38Le projet de développement méridional de l’archipel concerne l’atoll de Seenu (figure 5), bien qu’il soit considéré, et cela à juste titre, comme le second pôle étatique, du fait de son histoire. Il s’agit de mettre en avant de nouveaux secteurs économiques, de réhabiliter les espaces littoraux en vue d’aménagements futurs, et de développer une liaison maritime régulière avec l’atoll de Gnaviyani.

39Le souhait du ministère du Développement est également la création d’aéroports régionaux, dans l’ensemble de l’archipel, assurant ainsi son désenclavement, et la mise en conformité, au vue de leur futur statut international, des aéroports d’Hulhumalé, dans l’atoll de Malé nord et de Gan à Seenu. Le projet du ministère est, à terme, l’implantation d’un aéroport à deux heures maximales de trajet de toutes les îles locales importantes. Pour cela, l’État a déjà établi la liste des premiers atolls qui bénéficieront de ces nouveaux aménagements : ce sont les atolls de Haa Dhaal, Laamu, Gaafu, Dhaalu. S’il s’agit à l’heure actuelle de choix étatiques d’aménagement, ils nous semblent toutefois disproportionnés lorsqu’on observe le développement local de chaque atoll et les moyens financiers dont ils disposent !

40Une telle concentration de la population dans cinq provinces distinctes est due au fait que le gouvernement souhaite également diversifier ses secteurs économiques. L’économie maldivienne est particulièrement fragile car elle dépend uniquement des industries du tourisme et de la pêche, qui sont elles-mêmes dépendantes des marchés internationaux. Le gouvernement estime que l’implantation d’une activité économique nouvelle, requiert une main-d'œuvre abondante. C’est dans une de ces cinq provinces que la main-d’œuvre sera puisée.

  • 14 A Malé, le coût du mètre linéaire pour le « great wall » est de 9 000 $US.

41Une autre raison a été invoquée par le gouvernement pour expliquer le regroupement de la population sur des sites précis. Il s’agit de combattre le plus efficacement possible l’élévation future du niveau marin en implantant des protections tout autour des îles, ce qui implique un coût extrêmement élevé pour l’État14. Ainsi, la concentration de la population sur certaines îles ciblées a pour conséquence une protection moins onéreuse pour le gouvernement.

42Si la volonté du gouvernement est d’assurer une meilleure gestion de son territoire, nous pouvons nous interroger sur la légitimité d’un tel projet et redouter à terme un contrôle gouvernemental quasi-total sur l’archipel et sa population, préoccupation que partagent certains Maldiviens. L’élévation du niveau de la mer et le réchauffement climatique deviendraient alors les causes des mouvements migratoires.

L’émergence de nouveaux conflits

43Les différents plans de développement mettent en avant un développement touristique exclusif qui peut avoir des conséquences économiques et environnementales importantes si cette situation n’évolue pas.

44Il s’agit essentiellement de conflits d’usage entre les îles touristiques et les îles habitées. Ces conflits ont comme origine l’utilité même des îles naturelles inhabitées qui fournissent aux îles anthropisées des matériaux de première nécessité. Elles sont utilisées traditionnellement par la population maldivienne. Cette condition exclut donc les îles trop proches de Malé qui ont une dépendance réduite du fait de leur localisation géographique.

45Les îles inhabitées fournissent ainsi la bourre de coco nécessaire aux foyers domestiques, le sable indispensable à la construction (bien que cela soit théoriquement interdit) ou les alevins, localisés sur la couronne récifale, pour la pêche au thon non industrielle. Les dommages causés aux îles inhabitées peuvent avoir un impact en chaîne sur l’économie et l’environnement insulaire. A titre d’exemple, le prélèvement de bois de chauffe réduit l’habitat des oiseaux marins qui servent aux pêcheurs locaux pour repérer les bancs de thon.

46Si ces îles naturelles sont données en gestion au Ministère du Tourisme (pour la construction d’un « resort » ou la seule jouissance de l’île), elles ne pourront dès lors plus approvisionner les populations locales. Certes, l’interdiction d’exploitation d’une île n’interdit pas l’exploitation des autres dans un même atoll, mais les distances entre certaines peuvent être importantes et impliquer des frais de transport trop onéreux pour la population.

47Le gouvernement doit réguler l’exploitation des ressources de son territoire et assurer la protection de ses milieux. Il lui faudra pour cela, instaurer un plan de développement insulaire qui permettra de concilier le développement économique, la gestion de l’archipel, ainsi que la conservation des héritages naturels et culturels des Maldives.

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Bibliographie

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Doumenge F. (1985), Les îles et les micro-Etats insulaires. Hérodote, vol. 37-38, pp. 297-327.

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Notes

1 Les îles sont des étendues de terre ferme émergées de manière durable dans les eaux d’un océan, d’une mer ou d’un lac. Elles sont caractérisées par un isolement géographique qui contribue, malgré la grande diversité des situations, à donner une cohérence et une unité à l’ensemble des territoires insulaires (O.N.U.).

2 Ensemble récifal de haute mer, émergé à marée haute, sans roche volcanique affleurante, le plus souvent de forme annulaire avec un lagon central (Téthys, 1974).

3 Ensemble de récifs annulaires constituant des ensembles d’ordre supérieur distribuant des atolls au sein d’atolls.

4 les chiffres oscillent suivant les ouvrages entre 74 000 et 77 000.

5 Echange de courrier électronique avec le ministère du Plan et du Développement National

6 Hors-bord dépassant la vitesse de 30 noeuds

7 Raa, Baa, Lhaviyani, Vaavu, Meemu, Faafu

8 Entretien avec M. Mohamed Imad – Ministère du Plan et du Développement National

9 Système de liaison par hydravions

10 Entretien avec M. Hunaif – Ministère du Plan

11 « Sport tourism destination » - VI Plan de Développement National

12 Nord, Centre-Nord, Centre, Centre-Sud, Sud

13 Entretien avec M. Hunaif – Ministère du Plan

14 A Malé, le coût du mètre linéaire pour le « great wall » est de 9 000 $US.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Rufin-Soler, « Les politiques de gestion insulaire dans l’archipel des Maldives », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 322, mis en ligne le 17 octobre 2005, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/3067 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.3067

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Auteur

Caroline Rufin-Soler

Laboratoire Géomer – LETG UMR 6554, Institut Universitaire Européen de la Mer, Technopôle Brest-Iroise, 29280 Plouzané – France
Caroline_rufin@yahoo.fr

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Droits d’auteur

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