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Enjeux européens

Enjeux européens et réalignements locaux : les élections européennes de juin 2004 en France

Céline Colange

Notes de la rédaction

Ce texte est publié sous la seule responsabilité de ses auteurs et n’a pas été soumis à l’évaluation par les pairs.

Texte intégral

1Les élections européennes du 13 juin se caractérisent par une forte abstention et un nouveau vote sanction à l’égard du gouvernement. Malgré la réforme du mode de scrutin et une campagne électorale faiblement médiatisée, les résultats semblent sans surprises, comparables à ceux des régionales. Néanmoins, la cartographie des votes à l’échelle du canton révèle au-delà des permanences, des mutations et des clivages traditionnels, des effets géographiques intra-régionaux liés en particulier à la notabilité des candidats, qui peuvent apparaître paradoxalement dans le cadre d’un scrutin européen.

La participation

2Bien que les élections européennes n’aient jamais mobilisé l’électorat depuis leur instauration en 1979, l’abstention a atteint un nouveau record le 13 juin, 57,21% des électeurs inscrits ayant boudé les urnes. La carte montre que c’est dans les espaces qui votent traditionnellement pour les partis protestataires que le civisme a été le plus faible (Alsace et Midi rouge méditerranéen, fiefs du Front national, Médoc ou Bessin pour le C.P.N.T. …) (carte 1). Les électeurs de ces courants se reconnaissent moins dans les représentations de ce scrutin supranational dont les enjeux sont mal perçus par la majorité des citoyens et éloignés de leurs préoccupations. De même, le nouveau mode de scrutin, avec un découpage en huit grandes « circonscriptions » ou « régions européennes », au tracé parfois discutable et dont le but était de diminuer le nombre d’élus des petits partis, a pu démobiliser une partie de leurs électeurs. La multiplicité des listes dans plusieurs régions (jusque 28 en Ile-de-France) n’a pas joué en faveur d’une hausse de la participation, certaines d’entre elles se revendiquant de mouvements jusqu’ici inconnus. Enfin, pendant la campagne électorale, peu de partis politiques hormis les Verts, l’U.D.F. et le M.P.F., ont intégré dans leur discours le thème de l’Europe et de ses conséquences en termes de politique intérieure et internationale (les Verts sont les seuls à avoir mis en place un parti européen). Les débats se focalisaient principalement autour de la critique de l’action du gouvernement après son double échec lors des élections cantonales et régionales du mois de mars, les socialistes et les communistes appelant une fois de plus au vote sanction.

3Les effets régionaux sont moins évidents pour l’U.M.P. que pour l’U.D.F. ou le Parti socialiste à gauche, même si on constate que les zones où il recule le plus sont les cantons où le candidat U.D.F. est bien implanté au niveau local, ainsi que dans l’ouest, où l’ancienne ministre de l’écologie Roselyne Bachelot ne rayonne que dans sa circonscription du Maine-et-Loire et dans la région Poitou-Charentes (carte 8).

4Ces élections se caractérisent également par l’échec des courants souverainistes (M.P.F. et R.P.F.). En comparaison avec les élections de 1994 et 1999 les souverainistes apparaissent comme les grands vaincus de ce scrutin (carte 9). En effet, ils avaient devancé en 1999 la liste R.P.R. / D.L. emmenée par Nicolas Sarkozy et Alain Madelin. Philippe de Villiers est désormais le seul patron à la tête des souverainistes. Néanmoins, il ne se maintient que dans son fief en Vendée, avec un léger entraînement positif des votes en sa faveur dans les cantons des départements limitrophes des Pays de la Loire, l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan en Bretagne, les Deux-Sèvres et le nord de la Charente-Maritime dans le Poitou au sud (carte 10). Dans la Somme, la liste M.P.F., conduite par le député européen sortant Yves, Butel, conseiller général et président de la fédération départementale des chasseurs réalise un score honorable accompagné d’une légère progression. Paradoxalement, c’est dans ces cantons de la baie de Somme que le C.P.N.T., bien implanté localement a le plus reculé (carte 11). On est en présence d’un net effet intra-régional lié à la personnalité de la tête de liste. Le R.P.F. de Charles Pasqua est largement effrité (carte 9). Il n’a pas réussi à conserver, dans le sud-est, la partie de l’électorat Front national qui s’était reporté sur son nom en 1999. L’ancien ministre de l’Intérieur, poursuivi par les affaires, ne parvient pas à conserver son siège à Strasbourg, une partie de ses anciens fidèles ayant rejoint l’U.M.P. ou le M.P.F. après la rupture de son alliance avec Philippe de Villiers.

5Par rapport aux élections de mars, la gauche a perdu le plus de suffrages dans les fiefs des têtes de liste aux régionales (Pays de Bray pour A. Le Vern en Haute-Normandie, Deux-Sèvres pour S. Royal…) (carte 13). Si on compare avec le scrutin de 1999, les progrès de la gauche se font au détriment du C.P.N.T. (Baie de Somme et Médoc), des Verts (Bretagne et basses Alpes), des souverainistes (Est).

6Le vote en faveur des listes des Verts se concentre dans les grands centres urbains. Toutefois, ils ne parviennent pas à retrouver les bons résultats obtenus par Daniel Cohn-Bendit en 1999 (carte 15). Ces pertes semblent bénéficier aux socialistes (Bretagne), l’U.M.P. (Alsace), l’U.M.P. et l’U.D.F. (Ile-de-France). Cependant, contrairement à la situation observée pour le parti communiste, l’échec relatif des Verts ne s’explique pas seulement par la progression du P.S. mais par la présence de listes concurrentes (écologistes dissidents, radicaux…) dans plusieurs circonscriptions.

  • 1 Céline Colange, (2000), « Géographie du non-vote en France. Les effets des échelles et des types de (...)

7Malgré ces remarques, il est intéressant de noter que les départements du sud, notamment le sud-ouest, participent davantage aux européennes comme pour affirmer leur refus du pouvoir centralisé. Ce constat avait déjà été effectué par C. Colange dans le cadre de son mémoire de maîtrise1. A l’inverse, les régions frontalières (Alsace et Lorraine) s’abstiennent massivement alors qu’elles sont pourtant intégrées à l’Europe. La crainte et le refus de l’Europe dans ces espaces s’expliquent en partie par les processus de déstructuration industrielle engendrant des difficultés socio-économiques et une reconversion difficile. Le cas de la Corse est lui aussi particulier puisque l’Europe représente un enjeu en raison des aides au développement.

Le Front national

  • 2 Analyse de la Démocratie, des Représentations et des Territoires.
  • 3 Jacques Lévy, (2003), « Périurbain, le choix n’est pas neutre », revue Pouvoirs Locaux, p. 35 à 42.
  • 4 Pascal Perrineau, (1997), « Le symptôme Le Pen : Radiographie des électeurs du Front national », éd (...)

8Avec un score de 9,81% le parti de Jean-Marie Le Pen se place en quatrième position derrière le Parti socialiste, l’U.M.P. et l’U.D.F. . Il est en net recul par rapport aux élections présidentielles du printemps 2002 et aux régionales de mars dernier compte tenu de la faible mobilisation de son électorat (la carte de l’évolution du Front national en 2004 est le miroir inversé de la carte de l’abstention au scrutin européen) (carte 2). Le Front national gagne près de 4 points comparé au scrutin de 1999, où il faisait face à une crise interne suite à la scission du mouvement de Bruno Mégret (carte 3). Il obtient un total de sept élus contre seulement cinq auparavant, ce qui est loin des espérances de Jean-Marie Le Pen dont l’objectif était de compter entre dix et douze élus. La candidature des leaders nationaux du Front national, têtes de liste dans plusieurs régions (Jean-Marie Le Pen dans le sud-est, Marine Le Pen en Ile-de-France, Bruno Gollnish dans l’est, Carl Lang dans le nord-ouest) n’a pas eu d’impact attractif positif sur son électorat (carte 4). Le Front national réalise toujours ses meilleurs scores dans ses fiefs situés à l’est de la ligne Le Havre / Paris / Lyon / Marseille, dans le Nord, la seconde couronne parisienne, l’Alsace, la vallée du Rhône et l’arrière pays méditerranéen où le vote extrémiste est devenu un vote d’adhésion et non plus une forme de protestation. Mais, c’est paradoxalement sur ces terres où il avait obtenu de bons résultats aux régionales qu’il perd le plus de suffrages. Le recul est le plus net dans les cantons de la région sud-est, où la liste emmenée par Jean-Marie Le Pen en est la première victime (perte de plus de la moitié des voix). Les divisions internes au parti suite à l’éviction de la candidature de Marie-France Stirbois ont probablement freiné les dynamiques de la campagne du leader du Front national. De plus, ironie du sort ou simple hasard, c’est à Orange, bastion de son rival Jacques Bompard que Jean-Marie Le Pen enregistre son meilleur score à la fois au niveau départemental et régional. Le mouvement de Jean-marie Le Pen peut néanmoins se consoler avec l’effondrement du M.N.R. qui ne passe pas le seuil des 0,5% à l’échelle nationale. Enfin, il continue sa progression, amorcée lors des présidentielles en 2002 et confirmée aux dernières régionales, dans les espaces périurbains qui lui ont longtemps été réticents. Différents travaux réalisés au sein du groupe de recherche A.D.RE.T.2 lors des élections présidentielles en 2002 (Loïc Ravenel, Jérôme Fourquet, Michel Bussi et Sylviano Freiré-Diaz) insistent sur le rôle de facteurs géographiques tels l’enclavement ou la distance à l’agglomération la plus proche pour expliquer la répartition et la diffusion actuelle du vote frontiste. Ce processus de diffusion observé renvoie implicitement à la théorie de l’électeur-habitant-stratège3 et à l’effet de halo4, hypothèses qui permettent d’expliquer la territorialisation des votes protestataires, en particulier celui en faveur de l’extrême droite.

Les droites

  • 5 L’idée d’une tripartition de l’espace politique (PS, RPR, FN) a été évoquée par G. Grundberg et E. (...)

9Même si au niveau national, l’écart entre U.M.P. et U.D.F. tend à se resserrer (respectivement 16,64 % et 11,95 %) l’U.M.P. arrive en tête de la droite dans plus de deux tiers des cantons (carte 5). Toutefois, l’U.M.P. n’a pas réussi à remplir ses missions. Programmée pour devenir une machine à gagner les élections elle est de nouveau largement distancée par les socialistes. De plus, elle ne parvient toujours pas à se défaire de l’U.D.F. son allié encombrant. En effet, la différence de suffrages entre les deux listes est souvent infime, de quelques centaines de voix. Il serait intéressant à l’avenir de suivre plus en détail le parcours de l’U.D.F. afin de voir si on assiste au passage de la tripartition à la quadripartition de l’espace politique5. Les cartes montrent, notamment pour l’U.D.F., des effets régionaux et intra-régionaux très intéressants (carte 6 et 7). Ainsi, lorsque le candidat est implanté localement comme c’est le cas de Jean-Louis Bourlanges (Dieppe) ou de Brigitte Fourré (Amiens) dans le nord-ouest, la répartition des voix est très spatialisée, tandis qu’à l’inverse, dans le cas de candidats « parachutés » tels Jean-Marie Cavada dans le sud-ouest, la répartition des suffrages est uniforme sur le plan régional. De même, on note que l’U.D.F. a le plus perdu par rapport à 1999 dans le fief basque de François Bayrou qui n’était plus candidat et dans les Pays de la Loire (Vendée, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Sarthe), le Poitou, le Massif Central et le Bas-Rhin. Dans l’Ouest, la liste U.D.F. était en concurrence avec le souverainiste Philippe de Villiers et l’U.M.P. Roselyne Bachelot.

Les gauches

10La gauche parlementaire est sortie victorieuse des urnes pour la troisième fois consécutive en quelques mois. Néanmoins, au sein de l’opposition, le parti socialiste reste prépondérant, confirmant son succès des régionales et obtenant un de ses meilleurs résultats depuis 1981. Il n’y a pas eu de dispersion des votes et le P.S. est parvenu à rassembler une majorité d’électeurs désireux de sanctionner de nouveau le gouvernement, en préférant le vote utile au vote tribunitien. Comme lors des régionales, ce sont surtout les grandes agglomérations qui ont massivement voté à gauche. De même, comme pour l’U.D.F., on observe des effets intra-régionaux nettement mis en évidence selon l’implantation locale des candidats. Certaines personnalités politiques ont ainsi contribué à la victoire du P.S. (carte 12). Ceci est illustré par l’exemple de la circonscription « nord-ouest » qui montre une région coupée en deux car le sénateur haut normand réalise des forts scores au nord et à l’est de la Seine, autour de fief à Dieppe ainsi que dans l’ouest de l’Eure mais mobilise peu en Basse Normandie (sauf à Caen et à Cherbourg). Dans l’Ouest, on rencontre une situation identique. La liste de B. Poignant obtient de bons résultats en Bretagne à partir de son fief de Quimper mais ne parvient pas à s’imposer dans les Pays de la Loire, en particulier en Vendée dominée par P. de Villiers. A l’inverse, dans l’Est, la répartition des suffrages pour le P.S. est moins géographique. L’ancien ministre des affaires européennes, P. Moscovici, mobilise peu en dehors de son fief de Montbéliard sauf en Moselle et dans la Nièvre. Les résultats sont par contre plus homogènes en Ile-de-France où le score d’Harlem Désir est faible partout à l’exception de la capitale et de quelques cantons de la banlieue sud-est de Paris. Les résultats de M. Rocard, parachuté dans le sud-est, sont surprenant. L’ancien Premier ministre obtient plus de 30% des voix dans l’ensemble de la circonscription hormis sur la côte varoise et en Savoie. Même dans les municipalités détenues par l’U.M.P. (Marseille, Saint-Étienne) sont score est proche de la moyenne de la circonscription.

  • 6 Michel Bussi, Céline Colange, Jérôme Fourquet, Jean-Paul Gosset, (2004), « Européennes : la poussée (...)

11Le parti communiste continue son déclin et ne conserve que deux eurodéputés (un dans le nord-ouest et un en Ile-de-France). Une analyse menée au niveau cantonal6 montre que les scores du P.C.F. entre 1999 et 2004 décroissent de façon linéaire selon les progrès du Parti socialiste. Il semble bien qu’il se soit opérer un transfert de voix peu attendus entre ces deux partis. Sa base électorale ne cesse de se réduire puisque par rapport à 1999, il enregistre un recul de plus de 20%. Cette évolution est peu perceptible dans les cantons où le vote pour le P.C.F. est habituellement faible. En revanche, elle est nette dans les anciens bastions communistes de la région parisienne ou de Bretagne (carte 14).

L’effondrement des chasseurs

12Le C.P.N.T. de Jean Saint-Josse présentait des listes dans seulement cinq « grandes » régions de la métropole (pas de liste C.P.N.T. en Ile-de-France et dans l’est). Après sa défaite aux cantonales et aux régionales, la parti de la ruralité ne cesse de s’effondrer. Jean Saint-Josse, député sortant avait compris la situation délicate en choisissant de ne pas se représenter dans le sud-ouest. Les chasseurs résistent difficilement dans leurs fiefs correspondant aux terres de conflits cynégétiques, recueillant plus de 10% des exprimés dans seulement quelques dizaines de cantons et n’ayant plus d’élus, mais la perte y est la plus forte (carte 11).

  • 7 Jean-Luc Parodi, (1983), « Dans la logique des élections intermédiaires », Revue Politique et Parle (...)

13Tout comme les régionales, les européennes se situent, dans la hiérarchie des scrutins, dans la logique des élections intermédiaires7. Ce scrutin restera marqué par la forte abstention, le vote sanction mais aussi l’effacement des courants tribunitiens et le retour au vote utile. Enfin, avec le nouveau découpage, le parachutage ou la notoriété des candidats influencent la géographie des votes, faisant apparaître une répartition des suffrages différentes des clivages habituellement observés, toutefois encore davantage structurés par les départements et les régions que par les « grandes régions ».

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Notes

1 Céline Colange, (2000), « Géographie du non-vote en France. Les effets des échelles et des types de scrutins », mémoire de maîtrise sous la direction de Monsieur Michel Bussi, Université de Rouen, 178 p.

2 Analyse de la Démocratie, des Représentations et des Territoires.

3 Jacques Lévy, (2003), « Périurbain, le choix n’est pas neutre », revue Pouvoirs Locaux, p. 35 à 42.

4 Pascal Perrineau, (1997), « Le symptôme Le Pen : Radiographie des électeurs du Front national », éd. Fayard, 266 p.

5 L’idée d’une tripartition de l’espace politique (PS, RPR, FN) a été évoquée par G. Grundberg et E. Schweisguth en 1997 dans l’ouvrage collectif du Cevipof « L’électeur français en question », presses de la FNSP, 416 p

6 Michel Bussi, Céline Colange, Jérôme Fourquet, Jean-Paul Gosset, (2004), « Européennes : la poussée du P.S. s’est faite au détriment de ses alliés », Le Figaro du vendredi 2 juillet 2004, p.7

7 Jean-Luc Parodi, (1983), « Dans la logique des élections intermédiaires », Revue Politique et Parlementaire, p. 43 à 70.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Céline Colange, « Enjeux européens et réalignements locaux : les élections européennes de juin 2004 en France », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Débats, Enjeux européens, mis en ligne le 16 septembre 2004, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/5481

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Auteur

Céline Colange

DoctoranteLaboratoire M.T.G., F.R.E. I.D.E.E.S., Université de Rouen.

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